Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales
Depuis plusieurs années, les violences conjugales alimentent les réflexions et les réformes juridiques. Nous avions pu écrire, lors du commentaire de la loi n° 2010-769 du 10 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants[1], que « l’année 2010 semble marquer l’aboutissement d’une véritable prise de conscience sur un fléau d’une nature particulière puisque relatif au cadre familial : les violences conjugales »[2]. Les lois s’additionnent et pourtant l’exposé des motifs de cette nouvelle loi de 2020 trouble par le constat persistant d’un « véritable fléau, reflet des inégalités et des héritages du modèle patriarcal de la société française »[3] et que « l’urgence de la situation impose de nouvelles mesures »[4]. Il y a une impression de « déjà vu » laissant perplexe, avec un bilan victimologique inquiétant et une réponse législative identique par des retouches éparses. Cette approche critique est renforcée par le fait que cette nouvelle loi intervient, certes dans la continuité du Grenelle des violences conjugales, à la suite de l’adoption – il y a quelques mois – de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 sur les violences au sein de la famille[5]. Il faut regretter que le législateur ne donne désormais aucun écho au sage conseil de Montesquieu de ne « toucher que d’une main tremblante »[6] à la loi. De « ne légiférez qu’en tremblant », il s’agit aujourd’hui de « ne légiférez qu’en gribouillant ». Un unique texte à la suite d’une réflexion sereine aurait dû être préféré à cette addition normative, ce qui aurait été de nature à éviter les critiques « de quelques incohérences »[7] voire de s’interroger sur « une loi pour rien ? »[8]. Malgré ces regrets, il convient de présenter les modifications proposées par cette loi sur les volets civil (I) et pénal (II).
I. Lutter contre les violences conjugales par le droit civil
Compte tenu des liens évidents entre la matière civile et la matière pénale dans le cadre de cette lutte contre les violences conjugales, cela justifie une présentation succincte des réformes sur le volet civil.
A. L’ordonnance de protection
Logement conjugal ou commun. Par des ajouts à l’article 515-11 du Code civil, la jouissance du logement conjugal ou commun est attribuée automatiquement, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint victime des violences conjugales. Cette attribution est possible même en cas d’obtention d’un hébergement d’urgence.
L’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs est modifié pour faciliter le départ du locataire victime de violences conjugales. Le délai de préavis de trois mois est ainsi réduit à une durée écourtée d’un mois pour le locataire bénéficiant d’une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative aux poursuites ou d’une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui.
Bracelet anti-rapprochement (BAR). L’article 515-11-1 du Code civil – qui consacre ce récent dispositif de protection créé par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 – précise que le juge aux affaires familiales « peut prononcer une interdiction de se rapprocher de la partie demanderesse à moins d’une certaine distance ». Cette précision textuelle permet d’ajouter cette interdiction de rapprochement.
De même, une autre modification de cet article précise expressément que ce dispositif signale que « la partie défenderesse ne respecte pas cette distance », ce qui ne se limite pas au simple constat d’une proximité géographique.
Signalement d’une mise en danger des enfants au Parquet. Conséquemment à la nouvelle rédaction de l’article 515-11 du Code civil, lorsque le juge délivre une ordonnance de protection, il en informe sans délai le procureur de la République, auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants. Le signalement concerne donc toutes les ordonnances de protection, et plus uniquement les ordonnances prononcées en raison de la mise en danger sur les enfants, bien que cette précision sera mise en exergue lors de la transmission de l’information au Parquet.
Aide juridictionnelle. A l’occasion de la délivrance d’une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales est compétent – en vertu de l’article 515-11, 7°, du Code civil – pour prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle des deux parties, et plus seulement de la partie demanderesse.
La modification de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet l’octroi de l’aide juridictionnelle de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d’urgence, dont la liste devra être établie par un décret en Conseil d’Etat. Cette aide provisoire devient alors définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d’aide juridictionnelle établit l’insuffisance des ressources.
B. Les autres dispositions de protection
Autorité parentale. L’article 378 du Code civil relatif au retrait total de l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale étend ce retrait, au-delà des seuls crimes commis sur la personne de l’autre parent, aux délits accomplis comme auteurs, coauteurs ou complices à son encontre.
Médiation familiale. Compte tenu de l’inadaptation des mesures alternatives au règlement des différends en cas de violences conjugales, le recours à la médiation familiale est interdit dès lors que des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou en cas d’emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint[9]. La notion d’emprise est ainsi introduite dans le Code civil. Le législateur y recourt également à l’article 373-2-10 de ce code pour exclure, si cette emprise est manifeste, la médiation au titre des modalités d’exercice de l’autorité parentale, l’exclusion pour violences ayant déjà été prévue par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019.
Les étrangers victimes. Si la communauté de vie est rompue en raison de violences familiales ou conjugales, la carte de séjour pluriannuelle délivrée au conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, comme bénéficiaire de la protection subsidiaire ou par le statut d’apatride, ne peut être retirée par l’autorité administrative[10]. Cet impossible retrait concerne également la carte de résident[11].
C. Les sanctions patrimoniales
Obligation alimentaire. L’article 207 du Code civil prévoit désormais la décharge automatique de l’obligation alimentaire à l’égard du créancier condamné pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs. Cette décharge peut être écartée par une décision contraire du juge.
Indignité successorale. L’article 727 du Code civil énumère tous les cas d’indignité successorale facultatifs liés à une condamnation pour une infraction commise à l’encontre du défunt. Aux côtés des cas existants – notamment le meurtre ou les violences ayant entraîné la mort – est ajouté la condamnation de l’héritier, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
Si cette loi propose quelques modifications sur ce volet civil, elle contient principalement des apports sur le volet pénal.
II. Lutter contre les violences conjugales par les sciences criminelles
Les interventions du législateur par cette loi sont nombreuses et éparses, touchant le droit pénal général (A), le droit pénal spécial (B) comme la procédure pénale (C). Si la grande majorité des dispositions s’inscrivent dans la lutte contre les violences conjugales, il sera également fait mention des autres dispositions visant le plus souvent des comportements de violences spécifiques.
A. Les dispositions de droit pénal général
Secret professionnel. L’article 226-14 du Code pénal liste les cas d’inapplication de l’infraction d’atteinte au secret professionnel puni par l’article 226-13, qui s’apparentent à des faits justificatifs de nature à écarter l’engagement de la responsabilité pénale. Cette loi ajoute un nouveau cas de révélation du secret par le médecin ou tout autre professionnel de santé « qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences ». La décision du praticien est prise, en conscience, dès lors qu’il estime que deux conditions cumulatives sont présentes : les violences de nature à mettre la vie de la victime majeure en danger immédiat ainsi que la contrainte morale l’empêchant de se protéger. La particularité de ce cas de levée du secret est que le médecin ou le professionnel de santé n’est pas contraint par l’accord de la victime majeure. Ainsi et d’après l’article, s’il « doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ». La difficulté de ce cas est d’appréhender le recours à la notion d’emprise, non définie par le texte, aux côtés de la notion traditionnelle de contrainte. Pis, la mise en pratique de ce cas, notamment lorsque la victime majeure n’aura pas donné son accord, interpelle. Outre la relation de confiance possiblement compromise entre le patient et son médecin, il est à craindre que ce dernier pourra se retrouver dans une situation bien inconfortable s’il est appelé à prouver les conditions de levée du secret, et particulièrement cette emprise. Alors que la mise en œuvre de l’article 226-14 du Code pénal était déjà soumise à controverses[12], cet ajout est de nature à accentuer les difficultés théoriques comme pratiques de son application.
Application de la loi dans l’espace et actes de complicité. Les conditions d’application de la loi dans l’espace font l’objet d’une modification pour les actes de complicité, par provocation ou instruction, commis sur le territoire de la République et concernant, lorsqu’ils sont commis à l’étranger, les crimes contre les personnes. Antérieurement, la condition de réciprocité d’incrimination et le constat par une décision définitive de la juridiction étrangère étaient impératifs. Un nouvel alinéa à l’article 113-5 du Code pénal permet désormais l’application de la loi pénale française, sans reprise de ces conditions. Si la qualité rédactionnelle de ce nouvel alinéa était de nature à induire un doute sur son apport[13], les précisions apportées par les travaux préparatoires assurent une meilleure compréhension. Le rapport précise : « Afin de faciliter la sanction des actes de complicité visés au deuxième alinéa de l’article 121-7, il est proposé de préciser que la loi pénale française leur est applicable lorsqu’ils sont commis sur le territoire de la République (sans que soit exigée la double incrimination et la condamnation par une juridiction étrangère), mais aussi lorsqu’ils sont commis à l’étranger à condition qu’ils concernent un crime contre la personne »[14].
Peines alternatives. L’article 131-6 du Code pénal propose l’énumération des peines alternatives à l’emprisonnement. Cet article accueille un nouvel alinéa selon lequel « lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de ou en même temps que la peine d’emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté prévues aux 6°, 7°, 10°, 12°, 13° et 14° », c’est-à-dire les interdictions et la confiscation des armes, la confiscation de la chose ayant servi à commettre l’infraction ou qui en est le produit, les interdictions de paraître ou de fréquenter certaines personnes. Cette modification soulève des questionnements. D’une part, ce nouvel alinéa précise qu’une peine alternative peut être prononcée « à la place de » l’emprisonnement, ce qui est heureux puisque c’est justement l’objet de cette technique de substitution. D’autre part, une peine alternative devient désormais cumulative à l’emprisonnement[15], ce qui n’est pas en cohérence avec cette technique – au contraire des peines complémentaires –, ni de nature à faciliter la compréhension de l’application des peines.
Probation. Au cours du délai de probation, le condamné doit satisfaire à des mesures et obligations particulières qui cessent de s’appliquer, et le délai de probation est suspendu, pendant le temps où le condamné est incarcéré. Une modification de l’article 132-43 du Code pénal introduit une exception pour les interdictions de contact ou de paraître prévues à l’article 132-45, dont l’application se poursuit pendant le temps d’incarcération du condamné.
B. Les dispositions de droit pénal spécial
Vie privée et géolocalisation. L’évolution des technologies permet de recourir facilement à des logiciels pour pirater et espionner une messagerie Internet ou un téléphone portable. Le législateur s’intéresse avec cette loi aux logiciels espion permettant la géolocalisation d’une personne. Il vient ajouter cette technique dans la liste des comportements portant atteinte à la vie privée de l’article 226-1 du Code pénal. Est ainsi puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende – ou de deux ans et de 60 000 euros s’il s’agit du conjoint, concubin ou partenaire d’un PACS de la victime – le fait de capter, enregistrer ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans son consentement. Pour éviter que le conjoint/concubin/partenaire intrusif utilise le téléphone des enfants pour géolocaliser l’autre membre du couple, le même article précise que ces actes accomplis sur le mineur nécessitent le consentement des titulaires de l’autorité parentale. Il faut néanmoins regretter la rédaction de cette disposition – ou alors l’objectif assumé du législateur – qui conditionne le recours au logiciel espion à l’encontre des mineurs au seul consentement des parents. Cela interroge sur la difficile conciliation entre la vie privée du mineur et le contrôle parental dans son intérêt, notamment pour les adolescents[16].
Pédopornographie – Consultation de sites Internet pédopornographiques. Les peines réprimant la consultation de pédopornographie par Internet prévues à l’article 227-23 alinéa 4 du Code pénal sont aggravées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, en lieu et place des peines de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Si le renforcement des peines ne donne pas lieu à critique sur le principe, cette augmentation du quantum interroge néanmoins par comparaison aux autres comportements pédopornographiques sanctionnés. Dorénavant, la consultation de sites Internet pédopornographiques est sanctionnée des mêmes peines que le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur. Pourtant, il nous apparait que les comportements devraient être distingués quant à leur degré de gravité.
Pornographie – Lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie. Dans le cadre des outrages aux bonnes mœurs, l’article 227-24 du Code pénal lutte contre les messages violents ou pornographiques susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur. Pour renforcer cette lutte contre l’accès par les mineurs à du contenu pornographique, cet article est complété d’un nouvel alinéa qui précise que « les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans ». Ainsi, le garde-fou constitué par une simple déclaration de sa majorité – qui est un jeu d’enfant puisque ne nécessitant qu’un clic droit de sa souris – pour entrer sur un site Internet ne suffit pas à écarter l’application de ce texte. Cette modification reprend la solution jurisprudentielle, au sujet de la pornographie, adoptée dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2010[17].
L’article 23 de la loi donne compétence au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, lorsqu’il constate qu’un éditeur de service de communication au public en ligne viole l’article 227-24 du Code pénal en permettant un accès par des mineurs à un contenu pornographique, d’agir pour faire cesser l’infraction. Il pourra ainsi le mettre en demeure pour l’enjoindre de prendre toute mesure de nature à remédier à un tel accès. En cas d’inexécution, il pourra alors saisir le président du Tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner qu’il soit mis fin à l’accès à ce service et de faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.
L’objectif de ces mesures est de tenter de limiter l’accès à la pornographie par les mineurs, et de répondre au constat qu’une grande majorité des mineurs auront consulté, voire consommé, de la pornographie avant leur majorité[18], avec les possibles conséquences sur leur vie sexuelle.
Live-streaming infractionnel. Compte tenu de la capacité d’adaptation et de modernisation de la criminalité, Internet est un outil inédit pour créer ou faciliter certains comportements criminels. Récemment, un phénomène suscite d’importantes inquiétudes. Il s’agit de la pratique qu’il est possible d’appeler le « live-streaming infractionnel », qui consiste à diffuser en direct la captation vidéo de la commission d’une infraction, en contrepartie du paiement par le commanditaire de l’acte qui y assiste comme spectateur. Cette pratique rappelle ce qui est désigné par le terme « snuff movie » ou « snuff film », c’est-à-dire des films montrant des scènes de meurtre ou de tortures d’une victime véritable. Avec le live-streaming, s’ajoute la dimension du « direct », renforçant l’importance de la commande d’un acte spécifique par un individu à distance. Ce récent phénomène trouve une abominable illustration avec le live-streaming pédopornographique[19] : « des enfants de moins de 10 ans violés en direct pour le plaisir d’Occidentaux cachés derrière leur ordinateur »[20]. Pour lutter contre ce comportement des individus en France commandant un tel acte réalisé à l’étranger, plusieurs problèmes étaient de nature à entraver les poursuites. Compte tenu du déroulement des faits, les poursuites seront engagées pour complicité à l’encontre du commanditaire français, soulevant deux difficultés distinctes. D’une part, le législateur devait résoudre les problèmes d’application de la loi dans l’espace, ce qu’il effectue par la modification de l’article 113-5 du Code pénal précédemment citée. D’autre part, les poursuites sont conditionnées à la commission de l’acte ou à sa tentative. En effet, à défaut de fait principal punissable, la complicité disparaît. Pour combler cette impossibilité de poursuivre, le législateur a incriminé de façon autonome le mandat criminel. Tel était déjà le cas pour l’assassinat et l’empoisonnement, prévu à l’article 221-5-1 du Code pénal, sanctionnant alors « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis ni tenté ». Le législateur étend donc la technique du mandat criminel aux tortures et actes de barbarie[21], au viol[22] et aux agressions sexuelles[23], y compris pour des infractions projetées hors du territoire national[24]. Ces modifications de nature à favoriser la répression de ces comportements ne lèvent néanmoins pas les difficultés probatoires. Si les techniques d’investigation des autorités publiques évoluent, à l’image du recours à la captation de données à distance, elles doivent s’opposer à l’anonymat, au chiffrement et aux réseaux difficilement identifiables, comme par exemple le Darknet.
Harcèlement moral. La répression du harcèlement moral au sein du couple est renforcée par la prévision d’une nouvelle aggravation à l’alinéa 3 de l’article 222-33-2-1 du Code pénal. Ainsi, lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider, les peines sont alors portées à 10 ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende. Si un lien peut être établi avec l’incrimination de provocation au suicide, cette aggravation ne s’appuie que sur le résultat, sans qu’il ne soit nécessaire d’apporter la preuve du caractère intentionnel d’un acte de provocation en vue d’un tel résultat.
Autres circonstances aggravantes. Les articles 226-4-1 du Code pénal sur l’usurpation d’identité, 226-15 sur le secret des correspondances et 222-16 sur les appels téléphoniques malveillants et agressions sonores sont complétés par un nouvel alinéa portant aggravation des peines lorsque les faits sont commis par le conjoint/concubin/partenaire. La peine d’un an d’emprisonnement est doublée voire triplée pour les faits d’appels malveillants et agressions sonores. De même, la peine d’amende est alourdie, parfois au triple de la peine simple.
Immunité familiale. Le domaine d’application de l’immunité familiale de l’article 311-12 du Code pénal relatif au vol est réduit. A l’avenir, ne donne plus lieu à une immunité familiale le vol des moyens de télécommunication. Il s’agit d’empêcher le vol du téléphone portable, dont l’importance dans la vie quotidienne n’est plus à démontrer.
C. Les dispositions de procédure pénale
Médiation pénale. La rédaction de l’article 41-1 du Code de procédure pénale est modifiée pour interdire le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales relevant de l’article 132-80 du Code pénal. L’exclusion de cette mesure alternative aux poursuites appartient au bon sens. Une médiation ne serait pas opportune dans un contexte de violences familiales.
Contrôle judiciaire. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge se prononce, par une décision motivée, sur la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire, lorsqu’une interdiction de contact, de paraître en cas d’infraction au sein du couple ou contre les enfants, ou de se rapprocher d’une victime de violences conjugales, a été prononcée[25].
Certificat d’examen médical. L’article 10-2 du Code de procédure pénale est complété pour ajouter une obligation faite aux officiers de police judiciaire d’informer par tout moyen les victimes de violences de leur droit de se voir remettre le certificat d’examen médical constatant leur état de santé, dès lors qu’un tel examen médical a été requis par un officier de police judiciaire ou un magistrat. La création d’un article 10-5-1 du même code prévoit la remise de ce certificat d’examen à la victime, dont les modalités seront précisées par voie réglementaire.
Saisie des armes. Un nouvel alinéa à l’article 56 du Code de procédure pénale permet à l’officier de police judiciaire, dans le cadre d’une enquête pour violences, d’office ou sur instruction du procureur de la République, de saisir les armes détenues ou à libre disposition du suspect.
Fichiers. Les données enregistrées dans le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) sont étendues à l’inscription des informations des personnes mises en examen, lorsque le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier. En matière criminelle, l’inscription dans le fichier est de droit, sauf décision motivée du juge d’instruction.
Le Fichier des personnes recherchées au titre des décisions judiciaires, dont la liste des mentions inscrites est contenue à l’article 230-19 du Code de procédure pénale, accueille la mention de l’interdiction de paraître dans certains lieux, prononcée au titre d’une mesure alternative aux poursuites.
A défaut de précisions spécifiques, ces nombreuses dispositions sont entrées en vigueur dès le 1er août 2020. Il faut espérer que cette nouvelle loi ne vienne pas simplement alourdir une énumération déjà longue des textes en la matière. Ainsi, il conviendra d’évaluer l’impact de cette réforme sur la délinquance spécifique des violences conjugales, sachant que les attentes sont particulièrement fortes dans un contexte sanitaire inédit propice à une augmentation de ces violences.
FXRD
[1] JORF n° 158, 10 juill. 2010, texte n° 2.
[2] F.-X. ROUX-DEMARE, « Obs. sur la loi n° 2010-769 du 10 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants », RPDP, 1-2011, pp. 237-249.
[3] Ass. nat., Proposition de loi n° 2478 visant à protéger les victimes de violences conjugales, 3 déc. 2019, p. 4.
[4] Idem.
[5] F.-X. ROUX-DEMARE, « Obs. sur la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille », RPDP, 2-2020, pp. 513-519.
[6] MONTESQUIEU, Lettres persanes, publiées avec une introduction par Jacques Bainville, Paris, A la cité des livres, MDCCCCXXXI, p. 286(CXXIX. Usbek à Rhédi).
[7] V. WEBER, « La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales et l’application de la loi pénale dans l’espace : de quelques incohérences… », Dr. pén. n° 11, nov. 2020, étude 33.
[8] L. SAENKO, « La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : une loi pour rien ? », D. 2020. 2000.
[9] Nouvelle rédaction de l’art. 255 du Code civil.
[10] CESEDA, art. L. 313-25 et L. 313-26.
[11] CESEDA, art. L. 314-11.
[12] M. COTTET, « Le secret de la personne protégée par le médecin : le secret médical », Petites affiches, 14 nov. 2016, n° 226-227, p. 40.
[13] M. SEGONDS, « La nouvelle rédaction de l’article 113-5 du code pénal. A propos de la loi n° 2020-936 du 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales », RSC 2020 p. 982.
[14] Sénat, Rapport n° 482 visant à protéger les victimes de violences conjugales, par Mme M. MERCIER, 3 juin 2020, p. 66.
[15] Modification de l’art. 131-9 du Code pénal pour permettre d’assurer ce cumul.
[16] P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE, Droit des mineurs, Dalloz, 2e éd., 2014, p. 439 et s. (§693).
[17] Crim. 23 févr. 2000, n° 99-83.928. Dans cette affaire, il s’agit d’une revue non interdite à la vente pour les mineurs ayant offert à ses lecteurs l’acquisition de CD-Rom contenant des images pornographiques. Si les CD-Rom étaient cryptés, il était possible d’obtenir la clé de déverrouillage simplement en certifiant être majeur en tapant OUI sur le clavier minitel.
[18] Sénat, Rapport d’information n° 607 sur la formation à l’heure du numérique, par Mme C. Morin-Desailly, 27 juin 2018, pp. 50 et ss.
[19] P. ROUSSEAU, « Le renforcement de la lutte contre les commanditaires d’abus sexuels en live streaming », AJ pénal 2020 p. 396 ; J.-C. PLANQUE, « Live-streaming pédopornographique : des violences sexuelles difficiles à appréhender pour le droit pénal français », Dr. pén. n° 9, sept. 2020, étude 27.
[20] V. GAUTRONNEAU et J. PHAM-LÊ, « Viols à distance en streaming : « Un phénomène exponentiel » », Le Parisien, 17 juin 2019.
[21] C. pén., art. 222-6-4.
[22] C. pén., art. 222-26-1.
[23] C. pén., art. 222-30-2.
[24] Cette précision explique la modification de l’article 221-5-1 du Code pénal.
[25] Nouvelle rédaction de l’art. 138, 17°, du Code pénal.
POUR CITER CE DOCUMENT :
François-Xavier ROUX-DEMARE, "Obs. sur la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales", [En ligne], Blog personnel de F.-X. ROUX-DEMARE, http://fxrd.blogspirit.com/, 2022.
POUR ACCEDER A LA VERSION PDF :
001 Commentaire FXRD Violences conjugales BLOG.pdf