Observations sur la décision du Conseil Constitutionnel relative à l’interdiction du mariage homosexuel
Cet article se veut être une simple et concise présentation de la décision du Conseil des Sages du 28 janvier 2011…
Nous avions évoqué, en décembre 2010, la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe (http://fxrd.blogspirit.com/media/01/00/1155611248.pdf).
Par l’introduction de cette QPC, le Conseil Constitutionnel devait répondre aux interrogations d’une non-conformité de cette interdiction avec des dispositions du bloc de constitutionnalité. Les dispositions en cause étaient les articles 75 dernier alinéa et 144 du Code Civil.
Article 75 alinéa 6 C.Civ. : « Il recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme ; il prononcera, au nom de la loi, qu'elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ ».
Article 144 C.Civ. : « L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ».
On remarque que ces articles portent mention d’une éventuelle restriction du mariage à l’homme et la femme, entendu comme l’union d’un homme avec une femme. Une telle lecture exclut de facto les mariages entre personnes de même sexe.
Cette saisine du Conseil Constitutionnel visait à faire déclarer ces dispositions inconstitutionnelles, ce qui aurait entraîné leur nécessaire abrogation… et par voie de conséquence, une ouverture du mariage à tous les couples. A l’appui de cette inconstitutionnalité, Mme Corinne C. et autres avançaient une contradiction avec l’article 66 de la Constitution, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale et le principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil Constitutionnel a, tour à tour, écarté les contradictions soulevées pour marquer la constitutionnalité des dispositions sur le mariage.
S’agissant de l’article 66 de la Constitution, « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », le Conseil Constitutionnel indique qu’il n’est pas applicable au mariage. Les dispositions invoquées ne portent aucune atteinte à la liberté individuelle.
Sur la liberté du mariage, il rappelle que le législateur peut définir les conditions pour pouvoir se marier, en vertu de l’article 34 de la Constitution, et dans le respect des exigences de caractère constitutionnel.
A la possible contradiction avec le droit de mener une vie familiale normale, le Conseil Constitutionnel souligne que le mariage n’est pas une condition imposée à la mise en œuvre de ce droit. Les personnes de même sexe peuvent mener une vie familiale normale sous les autres régimes juridiques du couple existants (concubinage et PACS).
Dernière contradiction soutenue, le principe d’égalité. Le Conseil rappelle que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur propose une différence de traitement dès lors que les situations sont différentes ou en s’appuyant sur des raisons d’intérêt général. Une atteinte au principe d’égalité implique donc une différence de traitement de personnes placées dans la même situation. Or, les couples de même sexe et les couples de sexe différent crée deux situations distinctes, pouvant être traitées selon des règles différentes.
Suite à ces développements, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions critiquées du Code Civil.
Si l’on peut déplorer les conséquences de cette décision, il paraît difficile de remettre en cause les justifications apportées par le Conseil Constitutionnel. La seule critique pourrait se rapporter à la différence de traitement que justifie la différence de sexe dans le couple. L’existence de cette différence qui implique une différence de traitement, pouvant être discutable, semblait être une porte ouverte à une décision contraire.
Bien que nous ne soyons pas surpris d’une telle décision et sans développer plus en avant celle-ci, nous nous bornerons à établir deux observations :
- Le Conseil Constitutionnel a, à de multiples reprises dans cette présente décision, souligné l’implication du législateur dans l’institution de ces dispositions, et de façon plus générale, dans l’institution du mariage tel qu’il se définit en droit français. D’ailleurs, il ne manque pas de souligner à la fin de sa décision « qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ». Le Conseil Constitutionnel rappelle donc sa fonction de garant de la Constitution qui se distingue de celle du législateur. Il souligne donc, par voie de conséquence, qu’une modification dépend entièrement de l’appréciation du législateur. Peut-on y voir pour autant un appel du pied au législateur ? Une telle affirmation reste très discutable, bien que l’on ne puisse contester la volonté du Conseil de rappeler, à plusieurs reprises dans le corps de sa décision, la responsabilité du législateur en la matière.
- Cette décision rappelle les arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui renvoient aux autorités nationales, mieux placées, pour apprécier et règlementer l’exercice du droit au mariage. La Cour refuse de déclarer une obligation aux Etats de reconnaître le mariage homosexuel. Récemment, la CEDH effectue ce rappel dans son arrêt Schalk et Kopf c/ Autriche du 24 juin 2010 (30141/04). Pour justifier cette position, la Cour explique qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de consensus européen en la matière. Une telle interprétation reste donc soumise à une possible évolution.
La consécration d’un mariage entre personnes de même sexe, en France, reste suspendue à une réforme législative opérée par le Parlement. Cette solution semble la plus rapide dans le temps. Cette question fera certainement son apparition dans les futurs débats politiques préparant aux prochaines élections présidentielles. Dans le cas contraire, il faudra attendre que la Cour Européenne considère qu’un consensus existe au niveau européen pour l’amener à modifier sa jurisprudence.
Pour obtenir cet article en format PDF :
Décision intégrale du Conseil Constitutionnel n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011
Les extraits en gras, soulignés ou surlignés l’ont été par nos soins pour mettre en exergue les éléments importants.
Mme Corinne C. et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 novembre 2010 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1088 du 16 novembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mmes Corinne C. et Sophie H., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 75 et 144 du code civil.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu l'arrêt n° 05-16627 de la Cour de cassation (première chambre civile) du 13 mars 2007 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 8 décembre 2010 ;
Vu les observations produites pour les requérantes par Me Emmanuel Ludot, avocat au barreau de Reims, enregistrées le 14 décembre 2010 ;
Vu les observations en interventions produites pour l'Association SOS Homophobie et l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens par Me Caroline Mécary, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 14 décembre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Ludot pour les requérantes, Me Mécary pour les associations intervenantes et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 18 janvier 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 75 du code civil : « Le jour désigné par les parties, après le délai de publication, l'officier de l'état civil, à la mairie, en présence d'au moins deux témoins, ou de quatre au plus, parents ou non des parties, fera lecture aux futurs époux des articles 212, 213 (alinéas 1er et 2), 214 (alinéa 1er) et 215 (alinéa 1er) du présent code. Il sera également fait lecture de l'article 371-1.
« Toutefois, en cas d'empêchement grave, le procureur de la République du lieu du mariage pourra requérir l'officier de l'état civil de se transporter au domicile ou à la résidence de l'une des parties pour célébrer le mariage. En cas de péril imminent de mort de l'un des futurs époux, l'officier de l'état civil pourra s'y transporter avant toute réquisition ou autorisation du procureur de la République, auquel il devra ensuite, dans le plus bref délai, faire part de la nécessité de cette célébration hors de la maison commune.
« Mention en sera faite dans l'acte de mariage.
« L'officier de l'état civil interpellera les futurs époux, et, s'ils sont mineurs, leurs ascendants présents à la célébration et autorisant le mariage, d'avoir à déclarer s'il a été fait un contrat de mariage et, dans le cas de l'affirmative, la date de ce contrat, ainsi que les nom et lieu de résidence du notaire qui l'aura reçu.
« Si les pièces produites par l'un des futurs époux ne concordent point entre elles quant aux prénoms ou quant à l'orthographe des noms, il interpellera celui qu'elles concernent, et s'il est mineur, ses plus proches ascendants présents à la célébration, d'avoir à déclarer que le défaut de concordance résulte d'une omission ou d'une erreur.
« Il recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme ; il prononcera, au nom de la loi, qu'elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 144 du même code : « L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le dernier alinéa de l'article 75 du code civil et sur son article 144 ; que ces dispositions doivent être regardées comme figurant au nombre des dispositions législatives dont il résulte, comme la Cour de cassation l'a rappelé dans l'arrêt du 13 mars 2007 susvisé, « que, selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme » ;
4. Considérant que, selon les requérantes, l'interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l'absence de toute faculté de dérogation judiciaire portent atteinte à l'article 66 de la Constitution et à la liberté du mariage ; que les associations intervenantes soutiennent, en outre, que sont méconnus le droit de mener une vie familiale normale et l'égalité devant la loi ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de l'article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ;
6. Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution prohibe la détention arbitraire et confie à l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, la protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les dispositions contestées n'affectent pas la liberté individuelle ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de l'article 66 de la Constitution est inopérant ;
7. Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
8. Considérant, d'une part, que le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; que le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l'article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale ;
9. Considérant, d'autre part, que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte à la liberté du mariage doit être écarté ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.° Le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du code civil sont conformes à la Constitution.
Article 2.° La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 janvier 2011 où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 28 janvier 2011.