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DROIT DES BIENS ---- Le droit de propriété Exemple de cas pratique (N° 2)

SUJET :

 

Alors que Monsieur Karl était en déplacement professionnel, Monsieur Jean, propriétaire voisin a entrepris la construction d’un mur en vue de séparer les deux propriétés. A son retour, Monsieur Karl découvre une partie de la construction et estime que le mur a été construit sur son terrain ce que conteste Monsieur Jean. Afin de prouver ce qu’il soutient, Monsieur Karl souhaiterait  faire établir un constat amiable de bornage mais Monsieur Jean refuse.

Que peut faire Monsieur Karl ? Envisagez toutes les hypothèses.

 

 

PROPOSITION DE CORRECTION :

 Le bornage permet de poser des signes matériels tels que des bornes (d’où le nom de l’action) pour marquer la séparation des propriétés.
- En cas d’accord entre les parties, il n’y a pas de problème : les propriétaires peuvent borner leur propriété par un accord contenu dans une convention. C’est ce que l’on appelle un bornage amiable, qui n’est pas encadrée par des règles formalistes. Toutefois, il faut noter que le bornage amiable n’est possible qu’en l’absence de litige ou de transfert de propriété (soumis à la publicité foncière, etc.). Le bornage amiable ne doit que constater la délimitation des propriétés. En l’espèce, MM. Karl et Jean auraient pu faire appel à un géomètre pour dresser un plan qu’ils auraient signé. Ils auraient pu alors demander la délimitation précise des propriétés.
- En cas de désaccord comme en l’espèce, une des parties peut donc contraindre l’autre partie. L’article 646 c.civ. dispose que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contigües. Le bornage se fait à frais commun ». En l’espèce, M. Karl peut contraindre M. Jean au bornage, malgré son refus ; par une action en justice. Les conditions d’une telle action sont : des propriétés privées et contiguës (terrains qui se touchent sans être séparés par un intervalle ; Civ. 3e, 5 mars 1974 : Bull. Civ. III n° 100 – Civ. 3e, 16 janvier 2000 : Bull. Civ. III n° 8) ; des propriétaires de fonds juridiquement distincts (exclus pour les copropriétaires : Civ. 3e, 27 avril 2000 : Bull. Civ. III n° 89) ; les bâtiments ne doivent pas se toucher (Civ. 3e, 25 juin 1970 : Bull. Civ. III n° 443) ; une absence de bornage antérieur (amiable ou judiciaire ; Civ. 3e, 16 novembre 1971 : Bull. Civ. III n° 557 – Civ. 3e , 17 juillet 1972 : Bull. Civ. III n° 460 – Civ. 3e, 18 décembre 1972 : Bull. Civ. III n° 680). En l’espèce, l’ensemble de ces conditions semble réunie. De fait, M. Karl pourra introduire une demande de bornage devant le Tribunal d’Instance (sauf incompétence si l’action devient une action en revendication de propriété, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque cette action implique de ne pas être en possession de son bien).

Le bornage peut, bien souvent, servir à faire édifier une clôture. La clôture doit permettre de garantir son domicile, sa vie privée et sa sécurité. Elle permet d’éviter des sources de conflits avec ses conflits, comme ce qui est le cas en l’espèce. Ce droit de se clore est donc inhérent au droit de propriété. Il est facultatif, puisqu’il n’est pas d’ordre public. Un propriétaire peut donc renoncer de se clore. De la même façon, ce droit peut être aménagé. Des propriétaires voisins peuvent décider de se clore. Dès lors, ils peuvent mettre en œuvre le choix qui leur apparait le plus approprié (mur, haie, barrières, palissades…).

Toutefois, le droit de se clore peut devenir une obligation. Dans les villes et les faubourgs, l’article 663 c.civ. impose de se clore dans un soucis de protection des personnes et des biens. Dans ce cas, les fonds doivent être contigus et concernés des terrains construits. Dès lors, lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre les voisins, une demande judiciaire est possible. La clôture sera un mur dont la hauteur varie en fonction des villes. Ce mur sera alors mitoyen. Il y aura partage des dépenses de construction et d’entretien. Notons simplement qu’il existe des cas particuliers de clôture (en bordure de voies ferrées ou d’autoroutes…) ainsi que certaines limites à ce droit (droit de vaine pâture ou les servitudes). Parmi les limites au droit de se clore, théoriquement, ce droit ne doit pas entraîner un empiètement ni un abus de droit (créant des troubles anormaux de voisinage, privation de lumière, environnement inesthétique…).  Cependant, l’article 661 c.civ. permet une acquisition forcée d’un mur mitoyen et l’article 663 c.civ. permet lui, au contraire, d’écarter les règles de l’empiètement.

         Suite à ce bornage et à ces règles concernant la clôture, plusieurs situations peuvent apparaître...

*** Il y a un empiètement, le mur étant construit sur les deux fonds :

La Cour de Cassation rappelle que les juges du fond ne peuvent décider que le demandeur n’est pas fondé à opposer abusivement son droit de propriété, lorsqu’il réclame la démolition d’un ouvrage construit sur son sol, cet ouvrage fût-il destiné à servir l’intérêt commun du constructeur et du demandeur (Civ. 3e, 14 mars 1973 : Bull. Civ. III, n° 206). Dès lors, quand bien même la construction a aussi un intérêt pour M. Karl, celui-ci ne peut voir la défense de son droit de propriété contre un empiètement dégénérer en abus de droit (Civ. 3e, 7 juin 1990 : Bull. Civ. III, n° 140 ; Civ. 3e, 7 novembre 1990 : Bull. Civ. III, n° 226 ; Versailles, 11 février 2004 : D. 2004.2819).

Il parait nécessaire de parler de la mitoyenneté, c’est-à-dire l’état d’un bien sur lequel les deux voisins ont un droit de copropriété et qui sépare des immeubles. Comme le souligne la Cour de Cassation, un empiètement fait obstacle à l’acquisition de la mitoyenneté (Civ. 3e, 19 septembre 2007 : Bull. Civ. III, n° 147). Dès lors, le propriétaire qui empiète ne pourra pas imposer les règles de la mitoyenneté au propriétaire du fonds qui se voit opposer un empiètement sur son terrain. Cependant, le propriétaire du fonds sur lequel une construction empiète peut, en revanche, demander la mise en œuvre des règles de l’accession. Comme l’indique la Cour de Cassation, lorsque le mur séparatif a été construit en partie sur le sol du voisin il en résulte que ce mur a, dès l’origine, vocation à la mitoyenneté et celui sur le sol duquel le mur empiète peut en acquérir la mitoyenneté en remboursant au constructeur la moitié du coût de construction, actualisé au jour de l’acquisition de la mitoyenneté, la valeur de la moitié du sol n’ayant pas à être remboursée puisqu’elle lui appartient déjà (Civ. 3e, 11 mai 1982 : Gaz. Pal. 1982.2.Pan.357 ; Civ. 3e, 9 juillet 1984 : D.1985.409).

De la même façon, la Cour de Cassation indique qu’un propriétaire ne saurait imposer au propriétaire d’un fonds contigu l’obligation de rembourser la moitié du prix d’un mur séparatif de leurs propriétés, mais déjà construit, c’est-à-dire le forcer à en acheter la mitoyenneté (Req. 25 juillet 1928 : DP 1929. 1. 29 ; Civ. 3e, 9 juillet 1984 : D. 1985.409 ; Civ. 3e, 30 juin 1992 : Bull. Civ. III n° 235).

Après avoir rappelé ces règles, il convient de distinguer deux situations, soit le mur est toujours en cours d’édification, soit le mur est déjà édifié.

Soit le mur est en construction :

Malgré l’indication des règles ci-dessus, dans ce cas particulier de l’empiètement par la construction d’une clôture, les règles de l’empiètement sont écartées dès lors que la construction est en cours. M. Karl ne pourra demander la démolition du mur. C’est le seul cas d’expropriation privée qui est tolérée. Toutefois, cela semble guidé par une bonne logique. Dans le cas où on retient l’empiètement, M. Karl pourra demander à ce que le mur soit détruit. La destruction opérée, M. Jean pourra imposer à M. Karl de participer aux frais de clôture. Le mur sera alors de nouveau reconstruit aux frais des deux propriétaires ! Or, dans ce cas, le mur est encore en cours de construction laissant la possibilité de faire intervenir le propriétaire voisin.  L’article 663 c.civ. permet de contraindre son voisin à contribuer aux constructions et réparations de la clôture séparative. Le mur doit respecter les conditions exposées dans l’article, quant à sa hauteur (3,20 m ou 2,60, sauf exceptions). Le calcul de l’indemnité se fera alors au jour de la construction.  Dans le cas de cette acceptation, le mur devient alors mitoyen. Toutefois, il peut refuser cette situation en abandonnant une partie de son terrain qui est nécessaire à la construction, le mur devenant un mur privatif pour M. Jean (Civ. 26 juillet 1882, D. 1883.1.342, S. 1884.1.79).

Soit le mur est déjà édifié :

Si la clôture est déjà édifiée à cheval sur les terrains, on ne peut imposer à M. Karl de participer aux frais de construction. Les règles de l’empiètement reprennent leur mise en application. La destruction pourra dès lors être imposée, même si cette solution peut être critiquée (Civ. 3e, 20 mars 2002, Houssin c/ Legrasse, pourvoi n° 00-16.015, D. 2002.IR.1181).

 

***  Il y a une construction sur la seule propriété de M. Jean :

         Peu importe que le mur soit en cours de construction ou déjà construit. Dès lors, il n’y a aucun problème puisque M. Jean avait tout le loisir de construire un mur sur son propre terrain, sauf s’il provoque un abus de droit (par exemple, par une hauteur démesurée du mur, une perte de lumière, etc.).

Dans ce cas, l’article 661 c.civ. pourra être mis en œuvre. Dans ce cas, M. Karl a la faculté de rendre le mur mitoyen en tout ou en partie, en remboursant à M. Jean la moitié de la dépense qu’il a coûté, ou la moitié de la dépense qu’a coûté la portion du mur qu’il veut rendre mitoyenne et la moitié de la valeur du sol sur lequel le mur est bâti. L’estimation est alors effectuée à la date de sa mitoyenneté.

De la même façon, l’article 663 c.civ. permet à M. Jean de demander une participation pour moitié des frais de construction à M. Karl. Dans ce cas, le mur doit être en cours de construction et respecter les règles édictées par l’article sur les hauteurs du mur (sauf règlements particuliers ou usages contraires). Dès lors que le mur est construit, on considère qu’il est censé avoir renoncé à cette prérogative (sauf le cas de figure où M. Karl utilisait le mur pour prendre appui pour une autre construction).

Par contre, si l’on avait été dans le cas d’une reconstruction du mur,  M. Jean ne pourrait se fonder sur l’article 663 c.civ. pour obtenir une participation aux frais de construction, ni imposer l’acquisition de la mitoyenneté (Civ. 3e, 25 octobre 1983 : Bull. Civ. III n° 198 ; Civ. 3e, 30 juin 1992 : Bull. Civ. III n° 235).

 

**** Il y a une construction sur la seule propriété de M. Karl :

Peu importe que le mur soit débuté ou entièrement édifié. Si l’ensemble du mur est construit sur la propriété de M. Karl, il faut alors recourir aux règles de l’accession, de l’article 555 c.civ. 

-         Si M. Jean est de mauvaise foi, M. Karl pourra soit exiger soit la démolition aux frais du constructeur et sans aucune indemnité pour lui (avec possible condamnation à des dommages et intérêts), soit décider de conserver les constructions contre une indemnité pour le constructeur (la même que pour le constructeur de bonne foi). Compte tenu des faits, on peut penser que M. Jean est de mauvaise foi et que M. Karl ne souhaite pas garder le mur. Il pourra alors demander la démolition aux seuls frais de M. Jean.

-         Si M. Jean est de bonne foi, il doit pouvoir faire valoir d’un titre translatif de propriété (juste titre, titre translatif dont il ignore les vices, se croyait propriétaire au moment des constructions). Selon la Cour de Cassation, « le terme de bonne foi employé à l’al. 4 de l’art. 555 s’entend par référence à l’art. 550, et ne vise que celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices » (Civ. 3e,  29 mars 2000, Bull. Civ. III n° 75). S’il apporte la preuve de ce juste titre, l’acquisition devient obligatoire pour M. Karl. Il doit conserver les constructions et verser au constructeur une somme représentant soit la plus value procurée au fonds, soit le prix actuel de la main d’œuvre et des matériaux employés. C’est à M. Karl de faire le choix pour le calcul de cette indemnisation.

 

 

Commentaires

  • très intéressant

  • merci pour ces explications très claires

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