Garde à vue : la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/20 QPC du 30 juillet 2010 et ses suites
Chers lecteurs,
Toujours avec la volonté de vous présenter la publication d'articles ou de chroniques déjà parus dans des revues, mais qui n'ont pas fait l'objet d'une telle mise en ligne, voici un commentaire de l'arrêt Conseil constitutionnel n° 2010-14/20 QPC du 30 juillet 2010 paru dans la Revue Justice Actualités n° 2/2011, pp. 57-70, sous l'intitulé "Garde à vue : la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/20 QPC du 30 juillet 2010 et ses suites. Retour sur l’ébranlement du pivot de l’enquête policière".
Ce document a été également mis en ligne pour faciliter le travail des étudiants de Licence 2 Droit de la faculté de droit, économie, gestion et AES de Brest dans le cadre de leurs travaux dirigés de Droit pénal général.
Pour citer cet article :
François-Xavier ROUX-DEMARE, « Garde à vue : la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/20 QPC du 30 juillet 2010 et ses suites. – Retour sur l’ébranlement du pivot de l’enquête policière », Revue Justice Actualités, n° 2/2011, pp. 57-70.
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Début de l'article...
L’introduction d’un nouveau contrôle de la norme par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008[1], nommé question prioritaire de constitutionnalité (QPC), laissait présager une rapide transmission des questions les plus sensibles posées en procédure pénale au Conseil constitutionnel. Ce fut chose rapidement faite s’agissant des interrogations soulevées sur le déroulement de la garde à vue. Les juridictions du fond transmettent[2], dès le 1er mars 2010, jour de l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif de contrôle, la question auprès de la Cour de cassation qui la reprend en ces termes : « il est soutenu que les dispositions des articles 62, 63, 63−1, 77 et 706−73 du Code de procédure pénale, relatives à la garde à vue, sont contraires aux droits de la défense, au droit à une procédure juste et équitable, au droit à la liberté individuelle, au droit de ne pas faire l'objet d'arrestations d'une rigueur non nécessaire, au droit à l'égalité devant la loi et devant la justice, droits garantis par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, par les articles 1er, 2, 4, 6, 7, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que par les articles 1er, 34 et 66 de la Constitution ». Chargée de remplir un rôle de filtre, la Cour de cassation accueille positivement ces demandes en rappelant les différentes conditions imposées pour permettre le renvoi pour un examen des sages : applicabilité des dispositions contestées aux procédures en cause, dispositions n’ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, question possédant un caractère sérieux puisque touchant à la liberté individuelle et aux droits reconnus à la défense. Elle transmet donc une QPC par ses décisions du 31 mai 2010[3] et 4 juin 2010[4], soit trois mois après sa saisine.
Après presque deux mois d’attente et dans un contexte politique, social et juridique délétère[5], le Conseil constitutionnel provoque, par une décision assez prévisible du 30 juillet 2010[6] confirmée le 6 août 2010[7], une véritable onde de chocs. Par cette simple formulation de l’article 1er de sa décision, elle remet en cause les principes directeurs de la garde à vue jusqu’alors établis : « Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du Code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont contraires à la Constitution ». La procédure de garde à vue réalisée sans la notification du droit au silence et en l’absence de l’assistance d’un avocat viole la Constitution. Ce « tremblement de terre » est ressenti bien évidemment et directement par les fonctionnaires de police, mais atteint tout autant les mondes judiciaire et universitaire. Les expressions reprises dans les titres des articles de doctrine illustrent l’ampleur de l’appréhension de cette décision provoquant la nécessaire réforme d’un pilier de l’enquête de police : « la garde à vue ou la figure brisée de la procédure pénale française »[8], « la garde à vue « à la française » aux oubliettes »[9]...
Pourtant, la nécessité d’une réforme par le législateur était déjà pressentie depuis longtemps. Face aux gardes à vue réalisées sans l’assistance d’un avocat, les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme se faisaient de plus en plus nombreuses[10], relayées par la doctrine[11]. Dans son arrêt du 27 novembre 2008, la Cour européenne expose qu’ « il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière de circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».[12] Par comparaison, la conventionalité de la procédure de garde à vue française se trouvait largement remise en cause.
(...)
[1] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, J.O.R.F. du 24 juillet 2008, p. 11890.
[2] Ce sera notamment le cas des chambres correctionnelles des tribunaux de grande instance de Lyon, Paris, Dijon, Morlaix, Perpignan ou Melun.
[3] Cass. Crim., 31 mai 2010 : pourvois n° 05−87745, n° 09−86381, n° 10−81098, n° 10−90001, n° 10−90002, n° 10−90003, n° 10−90004, n° 10−90005, n° 10−90006, n° 10−90007, n° 10−90008, n° 10−90009, n° 10−90010, n° 10−90011, n° 10−90012, n° 10−90013, n° 10−90014, n° 10−90015, n° 10−90016, n° 10−90017, n° 10−90018, n° 10−90019, n° 10−90020, n° 10−90023, n° 10−90024, n° 10−90028.
[4] Cass. Crim., 4 juin 2010 : pourvoi n° 10-81908.
[5] E. DAOUD et E. MERCINIER, « Garde à vue : faites entrer l’avocat ! », Constitutions 2010 p. 571.
[6] Cons. Const., Décision n° 2010-14/20 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres [Garde à vue].
[7] Cons. Const., Décision n° 2010-30/34/35/47/48/49/50 QPC du 6 août 2010, M. Miloud K. et autres [Garde à vue].
[8] Y. MULLER, « La réforme de la garde à vue ou la figure brisée de la procédure pénale française », Droit pénal, Etudes, Février 2011, p. 6.
[9] Y. MAYAUD, « La GAV « à la française » aux oubliettes ? », D. 2010 p. 2696.
[10] CEDH, 28 février 2008, Demeboukov c/ Bulgarie, req. n° 68020/01 ; CEDH, 24 septembre 2009, Pishchlanikov c/ Russie, req. n° 7025/04 ; CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, req. n° 7377/03 ; CEDH, 10 novembre 2009, Bolukoç et autres c/ Turquie, req. n° 35392/04 ; CEDH, 19 novembre 2009, Kolesnik c/ Ukraine, req. n° 17551/02 ; CEDH, 1er décembre 2009, Adalmis et Kiliç c/ Turquie, req. n° 25301/04 ; CEDH, 8 décembre 2009, Savas c/ Turquie, req. n° 9762/03 ; CEDH, 2 mars 2010, Adamkiewicz c/ Pologne, req. n° 54729/00.
[11] V. par exemple : C. SAAS, « Défendre en garde à vue : une révolution … de papier ? », AJ Pénal 2010 p. 27 ; J.F. RENUCCI, « L’avocat et la garde à vue : exigences européennes et réalités nationales », D. 2009 p. 2897 ; H. MATSOPOULOU, « Plaidoyer pour une redéfinition du rôle de l’avocat pendant la garde à vue », Gaz. Pal., 3 décembre 2009, n° 337, p. 19.
[12] CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c/ Turquie, req. n° 36391/02, § 55.