Proposition de loi devant offrir une reconnaissance des unions civiles conclues dans un Etat de l'Union Européenne
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 2008 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à permettre la reconnaissance des unions conclues dans un autre État de l'Union européenne par tous les couples quelle que soit leur orientation sexuelle,
PRÉSENTÉE
Par M. Richard YUNG, Mmes Monique CERISIER-ben GUIGA, Claudine LEPAGE, Michèle ANDRÉ, MM. Robert BADINTER, Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Christiane DEMONTÈS, MM. Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Serge LAGAUCHE, Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Daniel REINER, Mme Patricia SCHILLINGER, M. Jean-Pierre SUEUR, Mme Catherine TASCA et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),
Sénateurs
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Didier Boulaud, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Yves Chastan, Mme Jacqueline Chevé, MM. Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Daudigny, Yves Dauge, Marc Daunis, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Samia Ghali, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mmes Odette Herviaux, Annie Jarraud-Vergnolle, M. Claude Jeannerot, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. André Lejeune, Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage, Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Jean-Luc Mélenchon, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, Paul Raoult, François Rebsamen, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme et Richard Yung.
(2) Apparentés : MM. Jean-Etienne Antoinette, Jacques Berthou, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Claude Lise, Georges Patient et Richard Tuheiava.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis quelques années se pose la question de la reconnaissance en France des mariages des couples de même sexe et des partenariats et unions civils autres que le PACS contractés dans un autre pays de l'Union européenne.
Actuellement, de nombreux couples français, binationaux ou étrangers résidant en France ne peuvent pas bénéficier des effets du partenariat civil contracté à l'étranger car la loi française reste muette sur ce point et notre pays n'a conclu aucune convention bilatérale avec ses voisins européens.
Pour ne prendre qu'un exemple, en 2007, un couple américano-danois établi en France, ayant conclu une union civile au Danemark en 1993 et souhaitant se pacser s'est retrouvé dans une situation kafkaïenne : l'administration leur demandait de rompre leur union civile pour pouvoir se pacser !
Au-delà de ce cas particulier, le problème de l'adaptation de notre droit aux nouvelles formes de couples et à la mobilité des citoyens européens est posé.
De nombreux États membres de l'Union européenne ont créé des institutions similaires au PACS (union civile reconnue en Allemagne, au Danemark, en Finlande, en Grande-Bretagne, en Hongrie, au Luxembourg, en République tchèque, en Slovénie, en Suède ; concubinage homosexuel reconnu en Autriche et au Portugal). D'autres pays ont mis en place des dispositifs plus ambitieux (mariage homosexuel reconnu en Belgique, en Espagne et aux Pays-Bas). Quant aux autres États membres, ils ne disposent actuellement d'aucune disposition légalisant le mariage des couples de même sexe ou les partenariats et unions civils.
À cette hétérogénéité institutionnelle et contractuelle s'ajoute une discrimination à l'échelle européenne entre, d'une part, les couples de sexe différent mariés, qui bénéficient des mêmes droits dans tous les pays sous réserve de la transcription du mariage, et, d'autre part, les couples de même sexe mariés et les couples - hétérosexuels ou homosexuels - liés par un partenariat ou une union civil(e), dont les droits dans le pays de résidence sont fonction de l'existence ou non de mesures de réciprocité entre le pays dans lequel ils ont conclu leur partenariat et le pays de résidence. Cette discrimination constitue indéniablement un obstacle à la libre circulation des personnes.
En France, aucune règle de droit positif n'interdit la reconnaissance des mariages des couples de même sexe et des partenariats et unions civils conclus à l'étranger.
En 2006, dans sa réponse à une question écrite du sénateur Jean Louis Masson, le ministère de la justice indiquait que, « sous réserve de l'appréciation souveraine des juges et des règles de conflits de loi, un mariage homosexuel valablement célébré à l'étranger entre deux personnes de nationalité étrangère pourra produire des effets en France, notamment sur le plan patrimonial et successoral ». Suivant cette logique, la direction générale des finances publiques du ministère du budget a autorisé, par une décision du 11 juillet 2008, deux ressortissants néerlandais mariés aux Pays-Bas et installés en France à faire une déclaration d'impôts commune.
S'il faut se réjouir d'une telle évolution, justifiée par les règles de conflit de loi du droit international privé, il faut cependant rester prudent car cette décision ne concerne que l'aspect fiscal et ne pourrait pas s'appliquer à un couple homosexuel français ou binational dont le mariage a été enregistré à l'étranger. En janvier 2008, la Chancellerie avait en effet indiqué que le mariage d'un Français à l'étranger avec une personne de même sexe ne peut pas être reconnu en France.
Il est donc impératif de mettre un terme à cette incertitude juridique.
La solution idéale consisterait à harmoniser le droit des États membres de l'Union européenne car la situation actuelle est préjudiciable à la mobilité des personnes. Cependant, dans une Europe aussi diverse sur le plan socio-juridique, un tel processus semble difficilement envisageable. Un accord entre les vingt-sept serait très difficile à atteindre. La mise en place d'une coopération renforcée entre les États susmentionnés pourrait éventuellement pallier cette difficulté.
Une autre solution pourrait consister, à l'instar du Danemark, à signer des accords intergouvernementaux. Le Royaume du Danemark a en effet négocié de nombreuses conventions bilatérales afin de permettre la reconnaissance de son partenariat civil en Finlande, en Islande, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suède. Une telle procédure s'avèrerait néanmoins longue et complexe.
Il est donc préférable de chercher la solution en droit interne.
En mai 2008, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, avait proposé de permettre la transcription des partenariats étrangers « pour en faire un PACS ipso facto ». Cela permettrait aux personnes liées par un partenariat civil étranger de bénéficier des droits ouverts par le PACS. Cette solution n'est cependant pas pleinement satisfaisante car le PACS produit des effets moindres que ceux de la plupart des partenariats et unions en vigueur dans d'autres États européens (le partenariat néerlandais, par exemple, instaure un régime de communauté universelle entre les partenaires alors que le PACS instaure un régime de séparation de biens). Par ailleurs, elle ne règle pas la question de la reconnaissance des mariages des couples de même sexe conclus à l'étranger.
La présente proposition de loi propose une solution plus adéquate qui s'inspire en partie du dispositif adopté en Grande-Bretagne en 2004 (Civil Partnership Act). D'une part, elle pose le principe selon lequel les mariages, les partenariats et les unions régulièrement conclus dans un autre État de l'Union européenne doivent produire des effets de droit en France. D'autre part, elle autorise les couples auxquels est refusée la reconnaissance de leur mariage, partenariat ou union à conclure un pacte civil de solidarité s'ils résident en France.
Afin de compenser les dépenses supplémentaires occasionnées par les avantages fiscaux accordés à ces couples, il est prévu la création d'un nouveau prélèvement obligatoire.
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est proposé d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article premier
L'article 515-3 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes de même sexe ayant conclu un mariage et les personnes de sexe différent ou de même sexe ayant conclu un partenariat civil ou une union civile dans un État membre de l'Union européenne autre que la France sont autorisées à s'en prévaloir lorsqu'elles résident sur le territoire français ; à défaut, elles ont la possibilité de conclure un pacte civil de solidarité. »
Article 2
Les pertes éventuelles de recettes résultant pour l'État de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.