Droit, morale et religion
« Aussi longtemps que Robinson vit en solitaire, il n’a que faire du droit (…). La rencontre de Vendredi change sa situation » (TERRE (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, 7e éd., 2006, p : 7). La nécessité du droit n’apparait que lorsque l’homme doit vivre en groupe… Le droit permet que l’on dépasse une relation violente entre les hommes (la loi du plus fort). Il permet d’imposer l’ordre, le progrès et la justice. Selon le Doyen CORNU, « Le précepte juridique n’est ni une règle de salut, ni une loi d’amour : c’est un facteur d’ordre, un régulateur de la vie sociale, un modérateur, un dénominateur commun, une norme moyenne, et c’est déjà beaucoup » (Droit Civil – Introduction au droit, Montchrestien, Précis Domat Droit Privé, 13e éd., 2007, n° 23, p : 23).
Si l’on se réfère à l’étymologie du mot « droit », celle-ci renvoie à l’idée de règle. Le terme « droit » provient du latin classique « directus », qui se traduit par « sans courbure » ou « être en droite ligne ».
Le droit se présente comme un modèle à mettre en œuvre. On trouve alors différentes définitions du terme « droit » :
- Droit objectif : ensemble des règles juridiques qui régissent les hommes dans leur vie en société, règles sanctionnées par la puissance publique
- Droit subjectif : prérogative qui est attribuée à un individu déterminé pour jouir d’une chose ou pour exiger une prestation d’un tiers
La règle de droit se présente à travers ses caractères de généralité, d’abstraite, d’obligation (et de coercition) et de nécessité. Le caractère de permanence semble pour sa part s’être largement assoupli voire avoir disparu.
Générale : la règle de droit vise l’ensemble des citoyens (ou des sujets) d’un groupe social, au minimum une catégorie de ces citoyens. En France, elle s’applique donc sur tout le territoire français. Elle peut s’appliquer à tous les français (ensemble des citoyens) ou à tous les salariés, à toutes les personnes mariées (catégories de ces citoyens). Ce caractère est un gage d’égalité. A contrario, la critique peut alors se fonder sur ce caractère global de la règle de droit pouvant la rendre rigide. Dans certaines situations, la règle pourrait apparaître trop dure et devenir inéquitable. L’équité peut permettre de nuancer cette rigidité en prenant en compte une situation particulière. Le juge doit se conformer à la loi et l’appliquer. Il est ancré dans son syllogisme judiciaire [la majeure (règle de droit), la mineure (faits de l’espèce), la conclusion (solution au problème)] largement connu par l’exemple de Socrate (L’homme est mortel, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel). La Cour de Cassation opère un contrôle de cette application. Toutefois, la règle de droit prévoit parfois ce besoin de compensation comme l’illustre l’article 270 du Code Civil[1]. La loi peut donc autorisée ou imposée l’équité. Le juge pourra parfois être amené à juger en équité en-dehors de toute invitation, il le fera au risque d’être contredit par la Cour de Cassation.
Abstraite : la règle s’applique à tous. Pour cela, elle ne désigne pas des personnes nommément. Elle est donc impersonnelle pour être commune à tous (≠ décisions qui sont des mesures individuelles). Cette impersonnalité se perçoit comme une garantie contre l’arbitraire.
Obligatoire et coercitive : la règle de droit s’impose, exception faite des règles supplétives ou dispositives auxquelles on peut déroger (≠ règles impératives). Ce caractère obligatoire se fonde sur l’existence de sanctions. C’est la sanction qui permet d’en garantir son respect. De fait, la règle est obligatoire car son respect peut être imposé par un renvoi devant un tribunal. Ces sanctions sont étatiques. La règle de droit est donc coercitive. Elle devient une contrainte sociale par cette existence de sanctions éventuelles. Ces sanctions peuvent être appliquées à travers le recours à la force publique. Elles peuvent imposer l’exécution d’une obligation, imposer une réparation ou punir un comportement infractionnel. Toutefois, il ne faut pas omettre le rôle préventif de la sanction, qui permet – par cette « peur du gendarme » – de permettre le respect de la règle de droit… Notons que certaines règles ne comportent pas de sanctions (exemple de la loi du 9 juin 1999 qui demande aux établissements scolaires de ne pas obtenir du matériel fabriqué avec de la main d’œuvre enfantine), ce qui rend difficile leur distinction avec une règle morale.
Nécessité : les rapports sociaux qui organisent la vie de l’homme en société se fondent sur le droit. En son absence, se serait la loi du plus fort qui s’appliquerait. La règle de droit assure donc la sécurité, l’ordre et la justice en société.
Permanente : la règle de droit est considérée comme permanente, jusqu’à son abrogation. Cependant, l’inflation juridique actuelle rend ce caractère assez obsolète. L’exemple des réformes récentes de la procédure pénale semble facilement l’illustrer. On envisage de supprimer le juge d’instruction alors que la réforme sur les pôles d’instruction n’a pas encore été mise en œuvre …
Le droit n’est pas le seul système imposant des normes, c’est-à-dire qui imposent aux individus des règles de conduite sous la contrainte.
On peut citer à côté la morale, la politesse, l’éthique et la religion.
La morale se fonde sur un rapport d’opposition entre le bien et le mal. Elle se base sur la conscience de chacun.
La morale et le droit possèdent des règles communes : l’honnêteté, la dignité de la personne humaine…
La morale et le droit possèdent aussi des différences. La morale vise l’élévation de l’homme, c’est-à-dire son perfectionnement personnel. Elle impose des devoirs à l’homme à travers l’énonciation de grands principes. Le droit vise à sauvegarder l’ordre social, soit son rapport de vie dans la société, à travers l’exposé de règles neutres et précises. Les sanctions sont aussi largement différentes puisqu’elles sont psychologiques pour les règles morales (le remords par exemple), mais contraignante pour le droit (emprisonnement par exemple).
L’éthique, proche de la morale par un même renvoi à l’idée de mœurs, s’en distingue par une idée de but à atteindre.
Les règles de politesse ou de bienséance imposent certains comportements à respecter en société. Par exemple, se présenter à l’heure pour assister à un cours. Cela s’apparente à avoir un savoir-vivre en société : courtoisie (dire bonjour…), politesse (tenir la porte à une personne nous suivant…), règles de jeu (en jouant aux échecs…).
Ces règles sont aussi sanctionnées. Il existe tout d’abord une pression du groupe social au respect de ces règles. En cas d’irrespect, cela peut entraîner une réprobation par le groupe, voire une exclusion. La sanction n’est donc pas étatique mais sociale. On ne poursuit pas en justice le non-respect de ces règles. Curieusement, on peut souligner que le non-respect de ces règles est à l’origine d’une partie de l’évolution grandissante du sentiment d’insécurité. Les incivilités (qui ne peuvent pas être poursuivies pénalement) sont un des facteurs de l’évolution de ce sentiment.
La religion impose des règles et prévoit des sanctions. La distinction est importante entre les Etats laïques et les Etats religieux. Dans chacun de ces types d’Etats, la place accordée à la religion peut varier et évoluer au fil du temps. Dans certaines sociétés, le droit et la religion se confondent, comme c’est le cas pour les pays qui appliquent la charia.
Entre religion et droit :
- Il y a parfois des règles similaires : condamnation du meurtre, du vol ou du faux témoignage.
- Il y a parfois des dissemblances. La religion et le droit s’ignorent. Par exemple : les dispositions du code de la route, qui ne subissent aucune influence de la religion.
- Il y a parfois des règles en opposition : le divorce, l’avortement, la contraception, le blasphème, l’adultère ou la règle selon laquelle « tu n’honoreras pas d’autre dieu que moi » s’oppose à la liberté de religion…
S’agissant des sanctions, la religion est un rapport entre l’homme et Dieu. La sanction est donc interne (peur d’aller en enfer). Le non-respect d’une règle de droit entraîne une sanction externe.
[1] Article 270 du Code Civil : « Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.
L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. ».
Commentaires
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