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Capacité d’ester en justice des associations étrangères

 

La France vient d’être condamnée par la CEDH, dans un arrêt du 15 janvier 2009, pour les restrictions imposées aux associations étrangères pour ester en justice devant les tribunaux françaisAFFAIRE_LIGUE_DU_MONDE_ISLAMIQUE__ET_ORGANISATION_ISLAMIQUE_MONDIALE_DU_SECOURS_ISLAMIQUE_c.pdf.
Voici mon article sur ce point, que vous pouvez aussi retrouver sur la Gazette d'Actualité Juridique de la Faculté de Droit de Lyon (http://fdv.univ-lyon3.fr/modules/gazette/?numero=90#8)

 

 

Capacité d’ester en justice des associations étrangères

 

L’article 2 alinéa 1er du Code de Procédure pénale dispose que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Sur fondement de cet article, les personnes morales se sont vues reconnaître le droit d’introduire des actions devant les tribunaux répressifs pour obtenir réparation de leur dommage direct et certain résultant d’une atteinte à leurs intérêts personnels et patrimoniaux[1].

 

L’action des associations suscite généralement des difficultés lorsqu’elles souhaitent se constituer partie civile pour défendre un intérêt collectif. Dans ce cas, les buts poursuivis se confondent bien souvent avec l’intérêt général. Or, cette prérogative étant le monopole du Ministère Public, la jurisprudence a rapidement écarté ce type d’action[2]. Néanmoins, des exceptions jurisprudentielles[3] puis légales[4] viennent autoriser petit à petit ce type d’actions. D’ailleurs, il faut noter que le Code de Procédure Pénale élargit fortement la liste des associations au travers vingt et un articles énumératifs[5]. Dès lors, l’association doit prouver un intérêt collectif associatif ou associationnel, qui n’est ni l’intérêt individuel de ses membres, ni l’intérêt social (intérêt général de la société) qu’il appartient au Ministère Public de poursuivre. L’association doit d’abord être régulièrement déclarée selon les dispositions de la loi de 1901. Certaines associations nécessitent en plus une reconnaissance d’utilité publique (avec une constitution depuis un certain délai, en général de 3 ou 5 ans)[6] ou un agrément[7]. En général, l’action doit intervenir face à des infractions strictement déterminées. Une association n’agit pas à l’encontre de tout type d’infractions mais seulement des infractions qui la concernent. Elle doit alors prouver un préjudice direct résultant de l’infraction. Pour un préjudice indirect, il faut qu’un texte de loi ait reconnu ce droit d’agir[8]. De même, elle peut parfois devoir obtenir l’accord de la victime[9]. Certaines ne peuvent que se joindre à l’action publique[10].   

 

Pourtant, ce n’est pas la limitation des actions de défense d’un intérêt collectif qui a fait l’objet d’un désaveu de la part de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, mais les conditions d’action des associations étrangères. L’article 6 de la loi du 1er juillet 1901[11] permet aux associations d’ester en justice à partir du moment où elles ont été régulièrement déclarées en vertu de l’article 5 de cette même loi. Selon ce dernier article, toute association voulant obtenir la capacité juridique doit être rendue publique par les soins de ses fondateurs. Cette déclaration préalable est faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social[12]. Lorsqu’il s’agit d’une association dont le siège social se situe à l'étranger, la déclaration préalable doit se faire à la préfecture du département où est situé le siège de son principal établissement. Cette condition trouve une logique application en ce qui concerne les associations étrangères aussi établies en France ou dont certaines activités s’effectuent sur le territoire de la République. La question de son application à des associations étrangères sans aucune activité en France suscite alors plus d’interrogations. Pourtant, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation exige cette même formalité à l’ensemble des associations étrangères, sans aucune distinction. Si elle rappelle dans son arrêt du 12 novembre 1990 que « toute personne morale étrangère, qui se prétend victime d'une infraction, est habilitée à se constituer partie civile, devant une juridiction française, dans les conditions prévues par l'article 2 du Code de procédure pénale »[13], elle souligne dans son arrêt du 16 novembre 1999 que ce droit « requiert, s'agissant d'une association, qu'elle remplisse les formalités exigées par l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901, auxquelles toute association, française ou étrangère, doit se soumettre pour obtenir la capacité d'ester en justice »[14]. D’ailleurs, dans ce dernier arrêt, la Cour de Cassation écarte les moyens du pourvoi qui évoquaient le droit d’accès à un tribunal en se fondant sur les articles 6 et 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. De la même façon, la Cour de Cassation réitère sa position dans deux affaires du 12 avril 2005, en reprenant le même attendu de principe et écartant de nouveau les articles 6 et 14 CESDH[15]. En l’espèce, les Associations « Organisation islamique mondiale du secours islamique » et « La ligue du monde islamique » s'estiment diffamées par un article du journal SOT AL AROUBA publié en langue française et diffusé sur le territoire français. Elles portent plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier auprès du juge d'instruction de Paris. Leur siège social respectif est à Djeddah et à Makka Al Mrukama. N’ayant pas effectuées la déclaration préalable, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris[16] puis la Cour de Cassation déclarent ces constitutions de partie civile irrecevables.

 

Dans son arrêt du 15 janvier 2009 (Affaire Ligue du Monde islamique et Organisation islamique mondiale du secours islamique contre France), la Cour Européenne de Strasbourg, joignant les requêtes[17], explique que si le « droit à un tribunal » peut être soumis à des limitations, celles-ci ne « doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même »[18]. Après avoir raisonnée comparativement sur les conditions introduites par la loi de 1901 et sa jurisprudence en matière de restrictions à ce droit à un tribunal, la Cour « estime qu'en exigeant la déclaration prévue à l'article 5 de la loi de 1901 pour une association étrangère n'ayant pas de " principal établissement " en France et souhaitant introduire une action en diffamation afin de lui permettre d'ester en justice, les autorités françaises n'ont pas seulement sanctionné l'inobservation d'une simple formalité nécessaire à la protection de l'ordre public et des tiers, comme le soutient le gouvernement. Elles ont aussi  imposé aux requérantes une véritable restriction, au demeurant non suffisamment prévisible, qui porte atteinte à la substance même de leur droit d'accès à un tribunal, de sorte qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention »[19].

 

Après cette condamnation de la France, il conviendra alors à la Cour de Cassation d’adapter sa jurisprudence, ou bien au législateur d’éclaircir la rédaction de cet article de la loi de 1901.

 



[1] Crim. 27 mai 1975 : Bull. 133 ; Crim. 22 nov. 1978 : Bull. 325.

[2] Crim. 20 fév. 1937 : S.1938.1.279.

[3] Crim. 29 avr. 1986 : Bull. 146.

[4] Par exemple, les associations de lutte contre l’alcoolisme (Article L 3355-1 du Code de la Santé Publique) ; l'union nationale et les unions départementales des associations familiales (Article L 211-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles) ; ou encore les associations œuvrant principalement pour la protection de l'environnement (Article L 141-1 du Code de l’Environnement).

[5] Articles 2-1 à 2-21 du Code de Procédure Pénale.

[6] Article 2-17 du Code de Procédure Pénale.

[7] Article 2-3 du Code de Procédure Pénale.

[8] Article 2-11 du Code de Procédure Pénale.

[9] Article 2-2 du Code de Procédure Pénale.

[10] Article 2-9 du Code de Procédure Pénale.

[11] Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.

[12] Elle doit alors faire connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration. Un exemplaire des statuts doit aussi être joint à la déclaration.

[13] Crim. 12 nov. 1990 : Bull. 377.

[14] Crim. 16 nov. 1999 : Bull. 260.

[15] Crim. 12 avr. 2005 : Bull. 121. ; Crim. 12 avr. 2005 : non publié au bulletin.

[16] Cour d'appel de Paris (Chambre de l'instruction), 10 sept. 2004 et Cour d'appel de Paris (Chambre de l’instruction), 2ème section, 10 sept. 2004.

[17] Requêtes n° 36497/05 et 37172/05.

[18] CEDH 15/01/2009,  Affaire Ligue du Monde islamique et Organisation islamique mondiale du secours islamique contre France, §49.

[19] Ibidem, §58.

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