Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La correctionnalisation judiciaire

CORRECTIONNALISATION

 

JUDICIAIRE

 

 

Plan de la présentation: 

Les Procédés permettant la correctionnalisation

La Raison d’être de cette pratique

Le caractère illégal de ce procédé

Le renforcement légal

Jurisprudence

Bibliographie

 

La pratique de la correctionnalisation judiciaire s’est développée à partir du 19ème siècle. Cette pratique consiste à soumettre un crime à un Tribunal Correctionnel, en ne retenant qu’une qualification correctionnelle.

On peut trouver aussi le cas de la contraventionnalisation qui consiste à transformer en contravention un comportement qualifié crime ou délit.

 

Procédés :

Il y a une déformation volontaire de la réalité des faits :

---Le juge peut « oublier » une circonstance aggravante. Dans le cas d’un vol avec circonstance aggravante d’usage d’une arme, on ne retient que le vol simple.

--- Le juge peut « oublier » un élément constitutif du crime (écarter des éléments matériels ou une composante de l’élément moral). Par exemple, une tentative de meurtre sera qualifiée de violences volontaires délictuelles en supprimant l’intention homicide de l’auteur ; ou requalifier un viol en agression sexuelle en dissimulant l’acte de pénétration.

--- Le juge peut méconnaître les principes de cumul d’infractions et ne retenir que la qualification la plus basse. Par exemple, si un notaire commet une escroquerie à l’aide de constitution de faux en écriture, il sera possible de ne retenir que l’escroquerie ; le faux en écriture établi par un dépositaire de l’autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission constituant un crime.

Autres techniques très utilisées au 19ème siècle : le juge poursuivait un individu déjà acquitté par la Cour d’Assises, pour les mêmes faits mais sous une qualification pénale correctionnelle. C’est une correctionnalisation judiciaire postérieure au jugement interdite par l’article 368 CPP du CPP de 1959.

 

Raisons :

On veut parfois éviter une décision trop clémente de la Cour d’Assises (exemple : acquittement des crimes passionnels) ou au contraire trop lourde. Le jury populaire reste imprévisible.

On ne veut pas encombrer les sessions d’assises par des affaires juridiquement criminelles mais ne méritant pas aux yeux des autorités judiciaires tout l’apparat de la procédure d’assises. Elle permet donc d’adapter la réaction sociale aux circonstances particulières de chaque affaire ; le législateur définissant les incriminations de façon abstraite. Exemple : le vol dans un magasin avec un pistolet factice devrait être poursuivi devant une Cour d’Assises pour vol à main armée ; mais le Procureur peut oublier le pistolet factice et ne retenir que le vol avec violence.

Volonté de rapidité et d’économie.

Cette pratique peut se révéler indispensable au fonctionnement de la justice pénale, faute de quoi il ne serait pas possible de juger l’ensemble des infractions constituant légalement des crimes.

Cette pratique peut enfin mettre le droit pénal au jour des évolutions de la société sans avoir à attendre l’intervention du législateur.

 

Illégalité de la pratique :

Il faut noter tout d’abord que la correctionnalisation est une procédure totalement illégale puisqu’elle va à l’encontre des règles de procédure pénale, dont certaines d’ordre public. Cette pratique peut se trouver condamnée : Crim. 9 nov. 1955, JCP 1956 II 9249 note Granier ; Crim. 12 juin 1958, Bull. Crim. n° 457 ; Crim. 3 janv. 1970, Bull. Crim. n° 4 ; Crim. 12 janv. 2000, Bull. Crim. n° 24.

Toutefois, pour pouvoir aboutir, il faut qu’elle requière le consentement implicite des intéressés : Ministère Public, prévenu et partie civile…. Puisque chaque partie peut soulever l’incompétence du Tribunal Correctionnel, ce dernier pouvant aussi la relever d’office (article 469 CPP pour le Tribunal Correctionnel ; article 519 CPP pour la Cour d’Appel). Dans les faits, il semblerait qu’elle ne soit pas dénoncée, chacun y trouvant son compte notamment le prévenu. La victime peut y trouver un intérêt au niveau de la publicité (par exemple, une victime d’infractions sexuelles peut préférer par pudeur la moindre publicité entourant le Tribunal Correctionnel qu’une Cour d ‘Assises).

 

Dans ce cas, il y a violation :

des règles de fond en cause : on ne respecte pas les textes d’incrimination. Pourtant, les juges ont un pouvoir de qualification pénale (autorités de poursuite et d’instruction). Ce procédé bouleverse la classification tripartite établie et donc la hiérarchie entre les incriminations.  

des règles de procédure sur la compétence qui sont d’ordre public : on renvoie devant le Tribunal Correctionnel alors que les faits sont de la compétence de la Cour d’Assises. Il y a une atteinte à la compétence matérielle des juridictions (ratione materiae) qui est fonction de la nature de l’infraction poursuivie (Cour d’Assises : art. 231 CPP ; Tribunal Correctionnel : art. 381 CPP ; Tribunal de Police et Juge de proximité : art. 521 CPP). Ces règles sont d’ordre public. Les parties ne doivent pas pouvoir déroger à ces règles ; les juridictions devant vérifier d’office leur compétence. Violées, ces règles entraînent la nullité de la procédure et de la décision rendue. De plus, cette violation des règles de compétence peut entraîner une banalisation de la gravité de certains faits pourtant qualifiés crime par le Code Pénal.

 

Renforcement :

Malgré son caractère illégal, la loi du 9 mars 2004 est venue la consacrer en disposant que si les parties ne contestent pas la qualification correctionnelle donnée aux faits lors du règlement d’instruction, ces parties ne pourraient plus le faire devant le Tribunal Correctionnel. Le but est d’exclure des conclusions d’incompétence déposées par le prévenu ou les parties civiles devant le Tribunal Correctionnel. L’article 186-3 CPP autorise ce recours : « La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l’article 179 dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises ». Toutefois, lorsque le renvoi est décidé par le Juge d’instruction ou la Chambre de l’instruction, le Tribunal Correctionnel ou les parties ne peuvent invoquer le caractère criminel des faits ; comme l’indique l’article 469 al. 4 CPP « Lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d’office ou à la demande des parties, des dispositions du premier alinéa, si la victime était constituée partie civile et était assistée d’un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné ». Donc, il faut que le Tribunal Correctionnel soit saisi par une ordonnance ou un arrêt de renvoi, que la victime se soit constitué partie civile, et qu’elle soit assistée d’un avocat : c’est-à-dire que la partie civile ait pu s’opposer au procédé.

Il existe alors deux limites à cette impossibilité :

La première limite intervient si les 3 conditions ne sont pas réunies. Dans le cas où la victime s’est portée partie civile au cours de l’instruction et si elle a un avocat, elle a la possibilité de faire appel de l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal Correctionnel puisque cette ordonnance lui est notifiée (art. 183 CPP). A contrario, si la victime ne s’est constituée partie civile qu’après la clôture de l’instruction, elle pourra soulever l’incompétence n’ayant pas été en mesure de le faire avant.  

La seconde limite est prévue par l’article 469 lui-même : si le Tribunal Correctionnel était saisi pour un délit non intentionnel mais que les débats font apparaître que les faits sont criminels car intentionnels (art. 469 al. 4 CPP) ;

Si le terme « légalisation » de la correctionnalisation judiciaire a pu être utilisé (DARSONVILLE Audrey, La légalisation de la correctionnalisation judiciaire, Revue Droit Pénal, Mars 2007, Etude, p : 7-9), il semble plus juste de parler de « consolidation » (PRADEL Jean, Procédure pénale, 13ème édition, Cujas, 2006, p : 111) ou de renforcement. Car, le procédé reste illégal puisque les parties peuvent toujours s’en prévaloir pendant l’instruction ; mais ce droit de s’en prévaloir se trouve limité par cette loi Perben II. On peut dire que le renvoi du Juge d’instruction ou de la Chambre de l’instruction devant le Tribunal Correctionnel opère, si les conditions sont réunies, une « neutralisation » ou une « purge » de l’irrégularité de qualification.

Pour conclure, il paraît surprenant d’expliquer un procédé entraînant une violation délibérée de la loi instauré par les autorités mêmes chargées d’appliquer ces lois : « la violation délibérée de la loi par ceux qui ont le devoir de l’appliquer est la pire des situations possibles » (CONTE Philippe et MAISTRE DU CHAMBON Patrick, Procédure pénale, 4ème édition, Armand Colin, 2002, p : 99 – n° 128 ).

Jurisprudence :

Affaire n° 1 Crim. 3 janv. 1970, Bull. Crim. n° 4

Cour de Cassation 

Chambre criminelle 

Audience publique du 3 janvier 1970

 

N° de pourvoi : 69-93254

 Publié au bulletin 

 Pdt M. Rolland

Rpr M. Malaval

Av.Gén. M. Boucheron

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CASSATION ET REGLEMENT DE JUGES SUR LE POURVOI FORME PAR X... (JEAN-FRANCOIS), DETENU, CONTRE UN ARRET DE LA COUR D’APPEL D’ORLEANS, DU 7 NOVEMBRE 1969, L’AYANT CONDAMNE POUR COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES ET VOL A 5 ANS D’EMPRISONNEMENT AINSI QU’A DES REPARATIONS CIVILES ;

LA COUR, SUR LE MOYEN D’OFFICE, PRIS DE LA VIOLATION DES ARTICLES 309, 310, 379 ET 382 DU CODE PENAL, 469, 512 ET 519 DU CODE DE PROCEDURE PENALE ;

SUR LA RECEVABILITE DU MOYEN : ATTENDU QU’EN MATIERE REPRESSIVE LES JURIDICTIONS SONT D’ORDRE PUBLIC ;

QUE SI X..., POURSUIVI ET CONDAMNE POUR COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES ET VOL, N’A PAS OPPOSE DEVANT LES JUGES DU SECOND DEGRE L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE, LA COUR D’APPEL SE TROUVAIT, PAR L’APPEL DU MINISTERE PUBLIC, SAISIE DE LA CAUSE ENTIERE, TELLE QU’ELLE S’ETAIT PRESENTEE DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL ET QU’ELLE DEVAIT DONC, D’OFFICE, EXAMINER SA COMPETENCE ET SE DECLARER INCOMPETENTE S’IL RESULTAIT DES FAITS PAR ELLE RETENUS QUE CES FAITS ETAIENT DU RESSORT DE LA JURIDICTION CRIMINELLE ;

QU’AINSI EST RECEVABLE L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE SOULEVEE D’OFFICE ;

SUR LA COMPETENCE : VU LES ARTICLES VISES AU MOYEN ;

ATTENDU QUE LES JUGES DU FOND CONSTATENT QUE X... S’EST FRAUDULEUSEMENT EMPARE DES PORTEFEUILLES CONTENANT L’ARGENT QUE PORTAIT SUR LUI UN SIEUR Y... ;

QUE POUR COMMETTRE CE VOL, LE PREVENU A VOLONTAIREMENT RENVERSE AVEC L’AUTOMOBILE QU’IL CONDUISAIT, LE CYCLE SUR LEQUEL Y... ETAIT MONTE, PUIS A FRAPPE VIOLEMMENT CE DERNIER AU VISAGE ET AUX PARTIES SEXUELLES ;

QU’IL A CONTINUE A LUI PORTER DES COUPS DE POING ET DES COUPS DE PIED ALORS QU’IL ETAIT A TERRE ET LUI A ENFONCE SES DOIGTS DANS L’OEIL DROIT ;

QUE CES VIOLENCES, COMMISES LE 2 OCTOBRE 1968, ONT ENTRAINE POUR LA VICTIME UNE INCAPACITE TOTALE DE TRAVAIL QUI DURAIT ENCORE LE 16 DECEMBRE SUIVANT ;

QUE X... A AGI AVEC PREMEDITATION ;

ATTENDU QU’EN L’ETAT DE CES CONSTATATIONS LES FAITS RELEVES, QUI ONT ETE A TORT CONSIDERES PAR LA COUR D’APPEL COMME CONSTITUTIFS D’UN DELIT DE VOL ET D’UN DELIT DISTINCT DE VIOLENCES VOLONTAIRES, SERAIENT DE NATURE, S’ILS ETAIENT DEFINITIVEMENT ETABLIS, A CONSTITUER LE CRIME DE VOL AVEC VIOLENCES, PREVU ET REPRIME PAR L’ARTICLE 382 DU CODE PENAL ;

QUE CONSIDERES ISOLEMENT, LES ACTES DE VIOLENCE DECRITS PAR L’ARRET ATTAQUE CONSTITUERAIENT A EUX SEULS LE CRIME DE COUPS ET BLESSURES COMMIS AVEC PREMEDITATION, PREVU ET REPRIME PAR LES ARTICLES 309 ET 310 DU CODE DE PROCEDURE PENALE ;

D’OU IL SUIT QU’EN STATUANT COMME ELLE L’A FAIT, LA COUR D’APPEL A MECONNU LES LIMITES DE SA COMPETENCE ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, EN TOUTES SES DISPOSITIONS L’ARRET DE LA COUR D’APPEL D’ORLEANS DU 7 NOVEMBRE 1965, ET, POUR ETRE STATUE CONFORMEMENT A LA LOI : RENVOIE LA CAUSE ET LES PARTIES DEVANT LA COUR D’APPEL DE BOURGES ;

ET POUR LE CAS OU LA COUR D’APPEL DE RENVOI DECLARERAIT L’INCOMPETENCE DE LA JURIDICTION CORRECTIONNELLE ET OU, PAR SUITE, IL EXISTERAIT ENTRE CETTE DECISION ET L’ORDONNANCE DU JUGE D’INSTRUCTION RENVOYANT LE PREVENU DEVANT CETTE JURIDICTION, UNE CONTRADICTION ENTRAINANT UN CONFLIT NEGATIF DE JURIDICTION ;

REGLANT DE JUGES, DES A PRESENT, RENVOIE LA CAUSE ET LES PARTIES DEVANT LA CHAMBRE D’ACCUSATION DE LA COUR D’APPEL D’ORLEANS ;

PRESIDENT : M ROLLAND - RAPPORTEUR : M MALAVAL - AVOCAT GENERAL : M BOUCHERON ;

Publication :Bulletin Criminel Cour de Cassation Chambre criminelle N. 4 P. 6  

Décision attaquée :Cour d’Appel Orléans 1969-11-07 

Titrages et résumés : APPEL CORRECTIONNEL - Appel du Ministère public - Vérification de la compétence - Obligation pour la Cour.

Lorsqu’il y a appel du Ministère public, les juges du second degré, saisis de la cause entière, doivent même d’office, se déclarer incompétents s’il apparaît que les faits poursuivis relèveraient, s’ils étaient établis, de la juridiction criminelle. L’exception d’incompétence peut être soulevée d’office devant la Cour de cassation.

 * APPEL CORRECTIONNEL - Incompétence - Crime - Appel du Ministère public - Obligation pour la Cour.

Précédents jurisprudentiels :(1) CF. Cour de Cassation (Chambre criminelle) 1959-12-16 Bulletin Criminel 1959 N. 557 p.1072 (CASSATION). (1) CF. Cour de Cassation (Chambre criminelle) 1963-11-20 Bulletin Criminel N. 308 p.735 (CASSATION PARTIELLE).

 

Affaire n° 2 Crim. 12 janv. 2000, Bull. Crim. n° 24

Cour de Cassation 

Chambre criminelle 

Audience publique du 12 janvier 2000

Cassation et Règlement de juges

N° de pourvoi : 99-81635

Publié au bulletin 

Président : M. Gomez

Rapporteur : M. Farge.

Avocat général : M. Géronimi.

Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CASSATION et RÈGLEMENT DE JUGES sur les pourvois formés par X... G..., X... M..., contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 24e chambre, en date du 28 janvier 1999, qui, pour agressions sexuelles aggravées, les a respectivement condamnés à 6 ans et 2 ans d’emprisonnement, et qui a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 331, alinéa 3, ancien, 222-22,222-23, 222-24.2° et 4°, 222-27, 222-29.1°, et 222-30.2°, nouveaux du Code pénal, 214, 519 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l’arrêt a déclaré G... et M... X coupables du délit d’agression sexuelle aggravée et, en répression, les a condamnés à la peine de 6 et 2 ans d’emprisonnement ;

" aux motifs que S... X... exposait qu’entre l’âge de 11 ans et demi et 18 ans, son père l’avait sodomisée régulièrement tous les 15 jours, voire chaque semaine, et l’avait contrainte à lui pratiquer des fellations ; que son oncle l’avait contrainte à 2 fellations et l’avait sodomisée une fois ;

" alors que tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol, puni de 15 ans de réclusion criminelle et relevant de la compétence de la cour d’assises ; que la Cour, qui a constaté qu’il était reproché aux prévenus d’avoir commis des actes de pénétrations buccale et anale sur S... X..., devant être qualifiés de crime, devait se déclarer incompétente et renvoyer le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera " ;

Vu les articles 332 ancien et 222-23 du Code pénal, 381 et 519 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu’en matière répressive la compétence des juridictions est d’ordre public ; qu’il appartient aux juges correctionnels, saisis de la cause entière par l’appel du ministère public, de se déclarer incompétents, même d’office, lorsque les faits poursuivis ressortissent à la juridiction criminelle ;

Attendu que, pour déclarer M... X... et G... X... coupables d’agressions sexuelles, l’arrêt attaqué relève qu’ils ont sodomisé la victime et qu’ils se sont fait pratiquer des fellations par elle ;

Attendu que de tels faits entrent dans les prévisions tant de l’article 332 ancien que de l’article 222-23 du Code pénal, dès lors que la sodomisation et la fellation constituent des actes de pénétration sexuelle, et se trouvent justiciables de la cour d’assises ; qu’ainsi, la juridiction correctionnelle était incompétente pour en connaître ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens proposés ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 28 janvier 1999, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Et, pour le cas où la cour d’appel de renvoi déclarerait l’incompétence de la juridiction correctionnelle et où, par suite, il existerait, entre cette décision et l’ordonnance du juge d’instruction renvoyant les prévenus devant ladite juridiction, une contradiction entraînant un conflit négatif de juridiction ;

RÉGLANT DE JUGES, dès à présent, sans s’arrêter à l’ordonnance du juge d’instruction, laquelle sera considérée comme non avenue ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris.

Publication :Bulletin criminel 2000 N° 24 p. 56  

Décision attaquée :Cour d’appel de Paris, 1999-01-28  

Titrages et résumés : VIOL - Eléments constitutifs - Elément matériel - Acte de pénétration sexuelle - Incompétence de la juridiction correctionnelle.

Doit être cassé l’arrêt de la cour d’appel qui, pour les déclarer coupables d’agressions sexuelles, relève que les prévenus ont sodomisé la victime et se sont fait pratiquer des fellations par elle, de tels faits constituent des pénétrations sexuelles et se trouvent justiciables de la cour d’assises. La cassation a lieu avec renvoi et règlement de juges par avance. (1)(2).

 COMPETENCE - Compétence d’attribution - Juridictions correctionnelles - Viol - Eléments constitutifs - Elément matériel - Actes de pénétration sexuelle - Incompétence - Caractère d’ordre public

CASSATION - Règlement de juges - Règlement de juges par avance - Cassation avec renvoi

Précédents jurisprudentiels :CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1996-05-22, Bulletin criminel 1996, n° 212 (2°), p. 598 (cassation et règlement de juges), et les arrêts cités. CONFER : (1°). (2) En sens contraire : Chambre criminelle, 1996-04-29, Bulletin criminel 1996, n° 172, p. 487 (cassation). 

Codes cités : Code pénal 332. nouveau Code pénal 222-23. Code de procédure pénale 381, 519. 

 

Bibliographie :

CONTE Philippe et MAISTRE DU CHAMBON Patrick, Procédure pénale, 4ème édition, Armand Colin, 2002, p : 98-99.

BOULOC Bernard, STEFANI Gaston et LEVASSEUR Georges, Procédure pénale,

DESPORTES Frédéric et LE GUNEHEC Francis, Droit Pénal Général, 12ème édition, Economica, 2005, p : 80 à 84.

PRADEL Jean, Procédure pénale, 13ème édition, Cujas, 2006, p : 108 à 112.

DARSONVILLE Audrey, La légalisation de la correctionnalisation judiciaire, Revue Droit Pénal, Mars 2007, Etude, p : 7 à 10.

Commentaires

  • Bonjour,

    J'aurai quelques précisions à apporter à votre article.

    Premièrement, vous faîtes état de la correctionnalisation judiciaire dite "descendante", c'est-à-dire la transmutation d'un crime en délit. Toutefois, il existe également une correctionnalisation judiciaire ascendante lorsqu'une contravention se transforme en délit (ce phénomène étant différent de la contraventionnalisation - mécanisme transformant un crime ou un délit en contravention).

    Deuxièmement, vous n'êtes pas assez précis sur le rôle de chaque acteur judiciaire, notamment lorsque vous affirmez que - je cite - "Le juge peut « oublier » [...]". Or, comme vous l'exposez bien, ce procédé de correctionnalisation judiciaire est apparue au 19ème siècle, notamment avec la réforme de nos institutions judiciaires ( Tribunal de Police, Tribunal correctionnel, Cour d'Assises). Mais ce procédé est issu d'une pratique parquetière, non prétorienne. En effet, c'est bien le ministère public qui est à l'origine de la correctionnalisation judiciaire, non le juge du siège; quant bien même, à l'heure actuelle, le juge d'instruction - et, depuis le 18 janvier 2008, le collège de l'instruction - correctionnalise également certains faits criminels et/ou contraventionnels.

    Troisièmement, vous dites que le "juge", en cas de cumul idéal d'infractions, doit choisir la qualification pénale la plus élevée. Or, ce principe n'est nullement ancré dans nos textes de loi; en effet, cette acception découle de la jurisprudence, non du législateur. Dès lors, pourquoi ne pourrait-on y déroger ?

    Quatrièmement, la correctionnalisation judiciaire post-sentencielle a tout d'abord été censuré par la Cour de Cassation dans un arrêt de 1959, et non de suite par le Code de Procédure pénale. D'ailleurs, si vous regardez la jurisprudence, vous verrez que cette pratique de correctionnalisation postérieure au jugement a été pratiquée pendant plus de 2 siècles!
    De plus, je regrette, pour les néophytes du droit tombant sur votre blog, que vous ne fassiez la distinction, même sommaire, entre correctionnalisation pré-sentencielle, sentencielle, et post-sentencielle...

    Cinquièmement, vous indiquez qu'il s'agit d'une pratique illégale - vous vous fondez d'ailleurs essentiellement sur ce que dit la doctrine à ce sujet, sans rechercher un avis de praticien...Une lacune je pense - . Or, avant d'affirmer une telle acception, je pense qu'il faut revenir au fondement de cette pratique. Par exemple, le Parquet se fonde sur l'article 40 CPP pour la mettre en oeuvre - principe d'opportunité des poursuites -. Or, à la lecture de ce texte, il me semble que le ministère public dispose de cette prérogative. Il faudrait donc voir dans la correctionnalisation une interprétation de la loi ayant pour conséquence la dénaturation d'une infraction pénale en un délit.

    Sixièmement, et j'en terminerai ainsi, je pense que vous devriez relire l'article de Mademoiselle Darsonville, ainsi que le rapport Zochetto, et la circulaire d'application de la loi du 9 mars 2004...Vous y trouverez les clés pour affirmer qu'il ne s'agit ni d'une légalisation, ni d'un renforcement, mais plutôt de la reconnaissance de la pratique parquetière qui est, souvent, une "précurseuse" en matière judiciaire (cf l'excellent article de Xavier Moroz).

    Bien à vous.

  • Bonjour,

    Je vous indique en premier lieu que cet article ne se veut pas exhaustif sur la matière mais souhaite simplement offrir quelques pistes de compréhension sur le sujet, d'où le fait que je propose quelques renvois bibliographiques! De plus, le but de ce blog n'est pas d'être destiné seulement à des praticiens ou des juristes de la matière pénale, qui possèdent déjà de nombreuses ressources juridiques, d'où le fait d'explications simplifiées.

    Sur votre intervention sur les acteurs, je précise bien que pour que le procédé fonctionne, il faut que toutes les parties en présence "acceptent" le procédé. De plus, ce procédé n'est pas limité au seul parquet puisque le juge d'instruction et la juridiction de jugement peuvent aussi l'utiliser....

    Sur le cumul idéal d'infraction, je ne dis pas qu'il faut qu'il retienne la qualification la plus élevée. Voici mes termes "Le juge peut méconnaître les principes de cumul d’infractions et ne retenir que la qualification la plus basse". Ceci veut donc dire qu'au lieu que le juge retienne le "cumul d'infractions", il ne retient qu'une des infractions en présence, en général la plus basse. Vous déformez mes propos. Sur ce cumul, vous posez aussi la question de savoir pourquoi on ne peut y déroger. Un texte d'incrimination prévoit précisemment ce cumul, le respect du principe de la légalité semble imposer son application.

    Sur la "correctionnalisation judiciaire post-sentencielle a tout d'abord été censuré par la Cour de Cassation dans un arrêt de 1959", cela n'a pas d'intérêt pour le développement puisque ceci n'est plus utilisé. J'ai préféré donné le fondement textuel qui s'impose.
    Sur "le Parquet se fonde sur l'article 40 CPP pour la mettre en oeuvre - principe d'opportunité des poursuites -. Or, à la lecture de ce texte, il me semble que le ministère public dispose de cette prérogative". Je pense sincèrement que cette réflexion est une erreur. Certes, le Parquet a l'opportunité des pouvoirs, ce qui indique qu'il a le choix d'engager des poursuites pénales ou non. Cependant, il doit respecter certains principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre procédure pénale, à savoir par exemple le principe de légalité des délits et des peines ou le principe d'irresponsabilité pénale.... D'après votre propos, il peut donc interpréter à sa guise les textes de loi et donc dénaturer tous les textes d'incrimination. Vous confondez opportunité des poursuites et qualification pénale des faits (par exemple, si le Procureur ouvre une information pour telle infraction, je vous rappelle que le juge d'instruction pourra et devra requalifier si cela s'avère nécessaire, voire en contradiction avec la qualification du Procureur). D'ailleurs, la Cour de Cassation rappelle régulièrement comme dans les exemples cités, que ce mécanisme est illégal et que les parties doivent respecter les textes d'incrimination.

    Je suis enfin surpis par votre dernière réflexion, notamment en citant l'article de Mlle Darsonville. "Vous y trouverez les clés pour affirmer qu'il ne s'agit ni d'une légalisation, ni d'un renforcement, mais plutôt de la reconnaissance de la pratique parquetière"... vous devriez commencer par relire son article qui d'ailleurs s'intitule "La légalisation de la correctionnalisation judiciaire".

    Je finirai simplement en disant que cet article reste une approche rapide de la matière ou une piste de réflexion. Ce sujet, comme de nombreux sujets abordés sur ce blog, font l'objet de mémoire ou de thèse. Il paraît évident que je ne me dis pas exhaustif en quelques lignes, et que je renvoie pour des développements plus approfondis aux études consacrées au sujet visé.

    Cordialement.

  • Bonsoir,

    Merci pour cet article détaillé(de mon point de vue de profane)sur la correctionnalisation.

    Si vous répondez encore aux commentaires plus d'un an après, j'aurais une question, car un point demeure flou dans mon esprit :

    Est-il possible qu'un plaignant, constitué partie civile lors de l'instruction et assisté d'un avocat, s'oppose à la correctionnalisation et que ce refus ne soit pas pris en compte, c'est à dire que les faits soient quand même déqualifiés? Si oui, quels recours possibles?
    A vous lire, j'en viens à me demander si une victime qui souhaiterait éviter de voir les faits déqualifiés n'aurait pas intérêt à attendre la fin de l'instruction pour se constituer partie civile, afin d'être en mesure de soulever l'incompétence du tribunal correctionnel ensuite.

    Cordialement,
    Naja

  • Bonsoir,

    Je vais essayer de vous répondre avec le plus de clarté possible.

    Pour reprendre brièvement la procédure et répondre à votre première interrogation. Un juge d’instruction est saisi « in rem » et non « in personam ». Dès lors, il doit instruire sur les faits pour lesquels il a été saisi (uniquement pour ces faits), mais il peut instruire à l’encontre de toute personne qui peuvent intervenir à raison de ces faits. Pour faire cette instruction, il n’est pas tenu par la qualification pénale des faits effectuée par le Procureur de la République ou la partie civile. Par exemple, le Procureur de la République peut saisir un juge d’instruction pour un viol commis sur une jeune femme. Celle-ci considère aussi qu’elle a été violée. Cependant, dès le début de son instruction, plusieurs éléments démontrent qu’il n’y a pas eu de pénétration (par exemple, un examen clinique montre que la jeune femme est vierge). Malgré que la victime pense avoir été violée, en raison de forts attouchements, etc. ; le juge d’instruction sera libre de qualifier les faits comme il l’entend. Il n’est donc pas tenu de prendre en considération les avis des autres parties. En fin d’instruction, il va alors rendre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, appelée sous le sigle ORTC. Cette ORTC peut faire l’objet d’un appel des parties. La partie civile reçoit notification de cette ordonnance. Elle est donc en mesure de réagir contre celle-ci et soulever à ce moment l’incompétence du Tribunal Correctionnel. Donc, dans votre cas, si le juge refuse de requalifier les faits, vous pourrez faire appel de cette ordonnance devant le Chambre de l’Instruction. Par contre, si la victime ne fait pas appel de cette ordonnance alors qu’elle s’était constituée partie et était assistée d’un avocat, le Tribunal Correctionnel ne pourra pas soulever une incompétence : on sanctionne plus une négligence de la partie civile qui est mis en position de réagir. Concernant votre dernière réflexion, je ne suis donc pas tout à fait d’accord. Si vous voulez, la loi de 2004 écarte la possibilité de soulever l’incompétence du tribunal dès lors que la partie qui a été mise en position de faire un recours, ne le fait pas. Cela permet essentiellement, selon le point de vue que l’on veut soutenir, soit d’éviter les recours tardifs en quelque sorte dilatoires (le but pouvant être de rallonger la procédure, avec un intérêt si le mise en examen est en détention provisoire) ; soit de sanctionner une forte négligence de la partie civile (puisque c’est en général elle qui a un intérêt à soulever l’incompétence du tribunal).

    Je vous signale qu’une mise à jour de cet article a été faite en novembre 2008, même si la très grande majorité des propos se retrouvent. http://fxrd.blogspirit.com/archive/2008/11/13/la-correctionnalisation-judiciaire.html

    Très sincèrement.

  • Merci pour votre réponse, elle est limpide.

    Cependant, je suis dubitative quant à la possibilité de démontrer qu'il n'y a pas eu viol. Il y a malheureusement bien des façons de violer une personne, même vierge, sans laisser la moindre trace physique décelable lors d'un examen qui aura lieu ensuite (plus ou moins longtemps après).
    Du coup, la déqualification se fera sur une absence de preuve matérielle de viol, pas sur une preuve formelle de l'absence de viol...

    En ce qui me concerne, si les faits sont déqualifiés, ils seront du même coup prescrits. J'en conclus que le choix de la correctionnalisation s'identifiera pour juge et/ou procureur à l'alternative classement/poursuite.
    C'était plus pour ma curiosité, et pour d'autres, parce que j'ai lu de nombreux témoignages de victimes qui se voyaient proposées le choix de la correctionnalisation et qui ne savaient trop quelle était leur latitude de refus.

    Je pense bien qu'il vaut mieux se porter partie civile dès que possible si on a prévu de l'être pour l'éventuel procès. Ma remarque finale était une façon d'exprimer mes points d'incompréhension face à cette partie de la loi Perben II.

  • If these rules are sure to be implemented in the law then surely there will be a great change in the development side it seems. These are superb laws.

  • Bonjour,

    Un autre article relatif à la correctionnalisation et plus précisément à la correctionnalisation du viol.

    http://www.village-justice.com/articles/correctionnalisation-negation-crime,12082.html

  • Bonjour,

    Je suis scénariste et j'ai besoin, dans une situation précise du film, d'un minimum de crédibilité. Il s'agit de correctionnalisation. Votre article m'éclaire, mais je voudrais plus de certitude. Je vous expose les faits. Une famille (un couple et deux enfants) se font agresser dans un bois par deux malfrats, braqués avec deux revolvers afin de les voler. Puis, la femme se fait violer avec pénétration. Pour la cohérence du film, j'aimerais que les prévenus passent en correctionnelle et non aux assises. Si vous vouliez bien m'indiquer si cela est possible et de quelle manière, je vous en serais très reconnaissant.

    D'autre part, j'ai une autre question. Si dans le cas où le juge d'instruction demande la correctionnalisation et que la partie civile fait appel de l'ordonnance devant la chambre d'instruction pour soulever le caractère criminel de l'acte, est-il possible qu'elle soit tout de même déboutée de sa demande et que la correctionnalisation s'applique, malgré tout ?

  • Bonjour, je me permet de vous répondre

    C'est possible oui. Un juge décide de disqualifier les faits , il prend une ordonnance de renvoi pour des faits d'agression sexuelle. L'accord de la partie civile n'étant que tacite, il n'a pas besoin de son autorisation. Dès lors la partie civile n'a qu'une solution, celle de faire appel de l'ordonnance de renvoi.

    Pour votre deuxième question, si l'instruction a été ouverte pour viol, non la partie civile ne sera pas déboutée. Le lien pour l'article au dessus de votre message pourrait vous aider. Il y a un témoignage précis d'une victime de viol, viol qui ne faisait aucun doute et qui a été tout de même correctionnalisé, ça peut vous donner une idée sur la manière dont on peut convaincre une victime d'accepter la correctionnalisation. Ici il n'y a pas eu appel de l'ordonnance mais on peut imaginer qu'elle change d'avis et fasse appel de l'ordonnance... Je vous remets le lien ici : http://www.village-justice.com/articles/correctionnalisation-negation-crime,12082.html


    Cordialement

Les commentaires sont fermés.