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  • L'empoisonnement

    Cette infraction est redoutée ce qui explique qu'elle soit lourdement punie. Elle est redoutée car facile à commettre et déloyale, dans le sens qu'elle n'engage pas physiquement l'intervention de l'auteur qui n'intervient alors que de façon lâche. De plus, cette infraction reste difficile à identifier. Elle est donc considérée comme très dangereuse et particulièrement lâche. Elle a fait l’objet de plus d’attention aux siècles derniers, avec des cas célèbres comme sous le règne de Louis XIV. D’ailleurs, on considère que cette incrimination apparait plus spécifiquement dans l’Edit de 1682 promulgué par Louis XIV en raison de l’affaire dite des poisons. Dans cet édit, il n’y a pas de distinction entre l’acte de commission et l’acte de tentative.

    L’incrimination fait l’objet d’une loi du 25 septembre 1791, puis se trouve consacré dans le Code Pénal de 1810 comme incrimination formelle.

    Strictement définie, le projet sur le Nouveau Code Pénal a failli entraîner son retrait ; dans une période marquée par l' « Affaire du Sang Contaminé ». Pourtant, cette incrimination formelle permet d’englober des comportements qui ne rentrent pas dans l’incrimination de meurtre ; d’où son intérêt. L’Assemblée Nationale souhaite sa suppression, n’y voyant qu’une simple variété de meurtre. Le Sénat a imposé son maintient mais l'arrêt de la Chambre Criminelle du 18 juin 2003 sur le sang contaminé a nuit à cette stricte définition (JCP 2003 II sur l'arrêt du 04/07/03; D.2003.164 Prothais).

    Article 221-5 CP : « Le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. L'empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle ... ».

    La circulaire du 14 mai 1993 indique que : « bien qu’elle ait été rénovée, la définition de l’infraction est, sur le fond, identique à celle de l’actuel article 301. Comme aujourd’hui, il n’est pas nécessaire, pour que le crime soit constitué, que l’empoisonnement ait causé la mort … En revanche, toute spécificité dans la répression a été supprimée. L’empoisonnement est désormais puni des mêmes peines que le meurtre » (Circulaire du 14 mai 1993, § 147).

     

    Condition préalable – Nature mortelle du produit utilisé

    La substance doit être objectivement et systématiquement mortelle ; peu importe alors que la mort soit foudroyante, immédiate ou lente (rapide ou lente). Il n'y a pas lieu donc de distinguer entre les substances certainement et immédiatement mortelles (empoisonnement) et les substances à risques mortels (administration de substances toxiques tel le Sida), comme semble le faire certains auteurs (Mayer, D.1994.Chron.325). De plus, il y a une utilisation du terme "substance" de façon générale (notamment par rapport au terme de « poison »), évitant la prévision d'une liste énumérative de poisons et produits déterminés. Peu importe aussi la consistance (solide, gazeux, liquide, poudre, naturel, substance végétale, animale, minérale, microbienne ou virales...) ; que les produits seuls soient inoffensifs si leur combinaison les rend mortelle; ou que plusieurs ingérences soient nécessaires tant que le but soit l'administration d'une quantité mortelle (absorption unique ou répétée). Les juges du fond apprécieront souverainement  ce caractère mortifère de la substance administrée (Crim. 2 mai 1867, Bull. crim. n° 107). De même, le caractère mortifère doit s’apprécier in abstracto, sans prise en compte de la résistance plus ou moins grande de la victime. Notons que dans sa jurisprudence du 13 juin 1952, la Cour de Cassation indique qu’il convient de tenir compte des circonstances et conditions dans lesquelles la substance a été administrée pour en apprécier le caractère mortifère. Ces indications posent alors une incertitude si un individu a voulu empoisonner autrui avec une substance qu’il pensait mortelle, mais dont les facultés mortelles ont disparu (cas du médicament qui perd ses propriétés toxiques en raison d’une exposition au froid, à la chaleur ou à la lumière).

    Toutefois, l’empoisonnement consiste bien à attenter à la vie, ce qui le distingue de l’administration de substances nuisibles portant atteinte à l’intégrité physique ou psychique (à la santé).

     

    Elément matériel – L'administration

    Infraction de commission, cet élément est constitué par l'emploi ou l'administration d'une substance de nature à entraîner la mort de la victime ; peu importe le mode d'administration (mais avec un acte positif, l’abstention n’étant pas réprimée sur ce fondement). L'administration peut faire intervenir la victime elle-même ou une tierce personne ignorant le dessein criminel (ex: nourrice, etc.) : dans ce cas, le tiers de bonne foi n’est pas poursuivi, l’individu ayant fourni la substance au tiers étant l’auteur principal. Néanmoins, si le tiers qui administre la substance est de mauvaise foi, le tiers est l’auteur principal, la personne ayant fournie la substance devenant un complice (Crim. 2 juillet 1886, Bull. Crim. n° 238). Toutefois, l'arrêt du 18/06/03 affirme que seule la personne qui a matériellement fait prendre le poison à la victime se rend coupable d'empoisonnement, même si cette solution ne paraît pas à prendre en compte (Crim. 18 juin 2003, Bull. Crim. n° 127).  

    L’administration doit être exercée sur la personne d’autrui. Cela concerne donc tout être humain qui n’est pas soi-même. Il faut donc une personne humaine (exclusion des fœtus ou des animaux), vivante (sinon on recourt à la l’infraction impossible, c’est-à-dire à une tentative) et qui soit autrui (impunité d’un empoisonnement sur soi, c’est-à-dire d’un suicide) même si la victime n’est pas déterminée. Le consentement de la victime n’est pas pris en compte (euthanasie). D’ailleurs, il faut souligner l’indifférence des mobiles (mettre fin à des souffrances, vengeance, etc.).

     

     

    Elément moral – Infraction intentionnelle

    Infraction intentionnelle, cet élément suppose la connaissance du caractère mortel de la substance puis un caractère délibéré de l'administration. La doctrine avait donc tendance à distinguer l’empoisonnement et le meurtre. Ce dernier nécessite une intention de tuer. Pour l’empoisonnement, il suffisait d’une volonté d’administrer une substance sachant qu’elle a une nature mortifère. Toutefois, la définition de cet élément soulève des divergences, en ce qui concerne une intention de tuer. Deux cas posent néanmoins des difficultés en la matière:

    - Cas du Sida: il y a eu une tentative pour se suffire de la simple connaissance du produit dangereux, sans la nécessité du caractère délibéré de l'administration. La Cour de Cassation a cependant demandé le recueil des deux éléments: connaissance du caractère mortel et volonté de l'administrer. Plus encore, elle indique que la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit pas à caractériser l’intention homicide (Crim. 2 juillet 1998, Bull. Crim. n° 211).

    - Cas de l'"Affaire du sang contaminé": pour des raisons économico-politiques, des hommes politiques ont distribué des produits sanguins en connaissance du caractère toxique voire mortel. Mais, la Cour de Cassation a créé une dissociation avec la volonté de tuer. Il semble que cette intention de tuer n'était pas requise (Justifications: sinon pas de différence avec le meurtre, la mort de la victime ne participe pas à la définition de l'infraction, l'intention homicide n'a pas été inclue dans les prévisions de l'article sur l'empoisonnement). En revanche, l'arrêt du 18/06/03 indique expressément que « le crime d'empoisonnement ne peut être caractérisé que si l'auteur agit avec l'intention de donner la mort, élément moral commun à l'empoisonnement et aux autres crimes d'atteintes volontaires à la vie de la personne ». Cet arrêt crée une contradiction puisqu'il y a dès lors la nécessité de la volonté de donner la mort (Crim. 18 juin 2003, préc.). Cette analyse, qui était celle d’une petite partie de la doctrine, écrase la véritable spécificité de l’incrimination.

                Donc, en vertu de ces jurisprudences, il y a lieu de recherche (actuellement), un dol général puis un dol spécial. Il y a donc une consécration de l’animus necandi ; sauf revirement de jurisprudence futur.

               

    Régime juridique

    L’empoisonnement est une infraction formelle qui punit l'emploi de certains moyens indépendamment du résultat. La mort de la victime n'est donc pas un élément matériel de l'infraction. L'infraction est consommée dès qu'un produit mortel a été administré; peu importe que la victime décède ou non. D'ailleurs, le repentir actif est inefficace (ex: donner un antidote) puisque l'infraction a été consommée au moment de l'absorption du poison. Toutefois, la loi du 9 mars 2004 a introduit des dispositions en faveur de ce "repenti" à l'article 221-5-3 CP.

    Toutefois, la tentative est aussi punissable. L’affaire la plus largement citée concerne un individu qui jette une quantité d’arséniac de plomb dans l’eau du puits de voisins, produit de nature à provoquer la mort après des absorptions répétées (Crim. 5 février 1958, Bull. Crim. n° 126). Autre exemple, le cas d’une remise d’un flacon contenant le breuvage empoisonné, mais présenté comme un médicament utile, à un tiers chargé de l’administrer (Crim. 2 juillet 1886 : S. 1887. 1. 449). En revanche, la démarche de se procurer la substance mortifère ne peut être qualifié que d’actes préparatoires.

    Concernant la prescription, le point de départ de la prescription décennale de ce crime se situe au jour où les substances mortelles sont administrées (Versailles, 7 avril 1998 : BICC 1999, n° 267). Toutefois, dans son arrêt du 2 juillet 1998 (préc.), la Cour de Cassation s’éloigne du caractère formel de l’infraction en faisant rentrer le résultat dans l’infraction. Ce recul du caractère formel de l’infraction rend alors incertain la position future de la Cour de Cassation sur la prescription, avec la possibilité de faire partir la prescription au jour où les effets sont ressentis par la victime (MAYAUD Yves, D. 2000 p : 26).

     

     

    Peines

    1810 --> peine de mort

    1981 --> réclusion criminelle à perpétuité

    1992 --> 30 ans de réclusion criminelle

     

    Le régime répressif se rapproche donc de celui du meurtre, exception faite d’une période de sûreté obligatoire pour l’empoisonnement aggravé ou non.  

     

     

    Pour conclure, on peut souligner que cette incrimination est très ancienne. Malgré cette ancienneté, l’appréhension de celle-ci semble de plus en plus délicate… Il existe des incertitudes quant à la nature mortifère de la substance, quant à l’élément moral, quant à son caractère véritablement formel, quant à la prescription … Ceci peut toutefois s’expliquer par l’absence d’affaires de ce type à notre époque ou alors par la grande particularité des quelques affaires (Sida et sang contaminé), empêchant la Cour de Cassation de forger une jurisprudence certaine en la matière.