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  • Lancement de la Présidence Française de l'Union Européenne sur fond de crise

    Le Traité de Lisbonne devient le premier sujet de préoccupation pour la Présidence Française de l’Union Européenne. Projet dont le Président de la République Française Nicolas SARKOZY est l’instigateur ; même si on doit reconnaître que ce texte est en très grande partie une intégration des apports de la Constitution Européenne dans les Traités actuels ; il va tenter d’éviter la crise européenne qui prend ses marques peu à peu. D’ailleurs, dès l’ouverture de cette nouvelle présidence le 1er juillet 2008, le Président Polonais Lech Kaczynski a indiqué son intention de ne pas ratifier le Traité de Lisbonne, alors que le Parlement Polonais avait adopté le texte en avril. Rappelons-nous que les dirigeants polonais étaient déjà fermement opposés au texte lorsque celui-ci avait été proposé, l’accord ayant été trouvé à l’ « arraché » ... De plus, l’adoption du texte par la République Tchèque apparaît de moins en moins acquis !
    Alors que les entraves se multiplient, M. Pierre BERTHELET revient sur le premier coup porté à ce texte - dont la survie est de plus en plus menacée - c’est--à-dire le "non" irlandais et la crise ouverte, et analyse ce que l'on doit en retenir*.


    Le Traité de Lisbonne, un lourd héritage pour la présidence française

    Par Pierre Berthelet
    Enseignant à Sciences Po Lille, ancien conseiller ministériel sous présidence belge de l’UE

    mercredi 02 juillet 2008, 10:07 Quotidien belge Le Soir

    Le concert des ratifications avait démarré dans l’harmonie et la nouvelle symphonie européenne se jouait sans accroc. Seulement voilà, le couac est venu de l’Irlande. Avec 54,3 % des voix, le non s’est imposé et la crise institutionnelle a resurgi. Le Conseil européen qui s’est réuni le 19 juin a décidé… de ne rien décider. Le Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, déclarait d’ailleurs qu’il n’existe pas de plan B. La Slovénie lègue donc bien malgré elle à la présidence française un héritage encombrant : résoudre la nouvelle et énième crise européenne.
    Cette fois-ci, la situation est inédite puisqu’elle résulte d’un texte qui précisément, devait apporter une réponse à la crise précédente causée par le rejet de la Constitution européenne. Ironie du sort, cette même France qui était à l’origine de la crise, doit, maintenant qu’elle a les rênes de la présidence, résoudre celle résultant de ce qui est appelé pudiquement, « un incident de ratification » du Traité de Lisbonne.
    Comme la Constitution européenne, ce traité est vu comme incompréhensible car trop technique. C’est indéniable. Mais un compromis à vingt-sept, où chaque pays a sa propre vision de l’Europe et essaye de défendre au mieux ses intérêts, peut-il nécessairement conduire à l’élaboration d’un texte simple et lisible ? Si l’on croit que l’électeur français de 2008 consulté par référendum rejetterait le traité car il ne le comprend pas, pourrait-on sérieusement affirmer que l’électeur de 1958 avait quant à lui approuvé la Constitution de la Ve République car il en avait saisi toutes les subtilités juridiques ?
    Alors, que se cache-t-il derrière cette crise institutionnelle ? Primo, il a été reproché au Traité de Lisbonne d’avoir un caractère trop libéral. C’est oublier qu’il vise surtout le fonctionnement des institutions. Il est avant tout destiné à rendre le processus décisionnel plus efficace. C’est aussi oublier qu’un traité européen est un cadre juridique, c’est-à-dire une boîte dans laquelle sont mises en œuvre des politiques. Cependant, l’existence d’un cadre ne veut pas dire l’existence d’une politique. Loin s’en faut. Prenons l’exemple de la politique européenne de la défense. Une telle politique était prévue par le Traité de Maastricht en 1992, mais elle a réellement vu le jour à la fin des années 1990 après le sommet franco-britannique de Saint-Malo et les Conseils européens d’Helsinki et de Cologne en 1999. Entre-temps, il a fallu des centaines de milliers de morts dans l’ex-Yougoslavie et une intervention américaine afin d’amener les belligérants à signer les accords de Dayton mettant un terme au conflit, pour conduire les dirigeants européens à songer à élaborer une véritable réponse diplomatique et militaire commune. En conséquence, à supposer que le traité soit d’essence (trop) libéral, les politiques qui en découleront ne le seront pas forcément. Elles le seront d’autant moins si une nouvelle majorité au Parlement européen au sortir des élections en 2009, a une
    coloration plutôt à gauche.
    C’est enfin oublier que l’Europe a été fondée sur l’économie. Il suffit de se remémorer les principes du Traité de Rome : un marché commun, une suppression des barrières douanières entre les États membres, une libre circulation des facteurs de production et une concurrence entre les entreprises européennes. Jusqu’en 1992, les tentatives de création d’une Europe politique avaient quant à elles, toutes échoué. De même, il a fallu attendre les évènements de Renault Vilvorde en 1997 pour songer à bâtir sérieusement une Europe sociale. Or, cette même Europe sociale peine d’ailleurs à voir le jour car chacun des pays considère son propre « modèle » comme celui à suivre et au pire, celui à préserver.
    Secundo, il est de bon ton de marteler que l’Europe souffre d’un déficit démocratique. Mais à y regarder de près, de quel déficit s’agit-il ? Dans l’imagerie populaire (et de bon nombre d’hommes politiques nationaux), les directives européennes sont prises par des fonctionnaires européens, les fameux « eurocrates ». Déconnectés des réalités, ils rédigent depuis le fond de leurs bureaux à Bruxelles, des textes davantage conformes à leurs intérêts personnels qu’aux préoccupations des citoyens. Or, cette image est fausse. Les textes européens sont adoptés par un Parlement européen élu… par nous ! Ce sont les députés que nous désignons lors de scrutins tous les cinq ans et qui seront renouvelés l’année prochaine. Ensuite, ils sont adoptés par les ministres, nos ministres nationaux. Quant à la Commission européenne, les commissaires sont nommés par nos gouvernements avec l’aval de nos députés européens.
    Peut-être pourrait-on alors trouver les raisons de ce déficit du côté des lobbies qui hantent les couloirs des institutions européennes ? Certes, il existe une constellation de groupes d’intérêt qui gravitent autour d’elles. Mais là encore, faisons le parallèle avec ce qui se fait dans les États membres. Officiellement, les lobbies n’existent pas, jugés contraires aux idéaux d’égalité démocratique. Seulement, cette vision est clairement plus hypocrite. Les parlements nationaux abritent en leur sein de nombreux lobbyistes qui ont un statut de « collaborateurs » auprès des députés. En somme, la différence est qu’à Bruxelles, ces groupes ont pignon sur rue alors que dans les capitales et dans les régions, tout se fait sous le manteau.
    En réalité, les raisons de la crise sont ailleurs. L’Europe est doublement victime. Elle est victime d’un rejet par la population de ses élites. C’est la rhétorique du « tous pourris ». Dans ce contexte, les hommes politiques européens, sont, comme les hommes politiques nationaux, la cible de la défiance des citoyens vis-à-vis du monde politique.
    L’Europe est aussi victime de son éloignement. Elle est vue comme une forteresse impénétrable à des années lumières du citoyen. La faible médiatisation des problèmes politiques (le thème d’un sommet européen avait été consacré par les médias à… Carla Bruni-Sarkozy) et la présentation des institutions sous l’appellation « Bruxelles » ne permet pas de savoir « qui fait quoi ». Pire encore, elle renforce cette impression de nébuleuse, ce qui creuse parallèlement, davantage le fossé avec le citoyen. Il faut admettre aussi une certaine méconnaissance de la classe politique nationale (…) sans compter la mauvaise foi d’une partie d’entre elles qui joue sur les craintes de la construction européenne, supposée se faire contre la souveraineté nationale ou les acquis sociaux.
    Tant que l’Europe cristallise les peurs et focalise autour d’elle les dissensions, toute solution à la crise serait illusoire. Il est temps de réconcilier les citoyens avec l’Europe. La présidence française qui s’annonce est une formidable opportunité à ce sujet. L’Europe ne peut pas se faire contre les peuples, elle doit se faire avec eux. N’est-il d’ailleurs pas un certain Jean Monnet qui avait affirmé dans une maxime devenue célèbre « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes » ?

    (*Publication de ce texte paru dans le Journal belge Le Soir sur autorisation de l’auteur, que je remercie sincèrement).